L'Ombre du Prince
asséché.
— Reste là, dit Séchât en culbutant, s’étant
pris les pieds dans un cordage dont elle eut du mal à se dégager. Tu ne crains
rien tant que le bateau n’est pas redressé. Tiens ! Accroche-toi à cette
corde et ne bouge pas.
Elle attacha au mât central le câble dont elle
venait de se dépêtrer et le lui tendit. Puis, elle retourna vers son fils et
vit alors la lente marche des hippopotames vers le bord de la berge opposée.
*
* *
Le dieu d’Amon n’avait pas encore permis que
les eaux de la crue versassent leurs bienfaits sur les terres asséchées.
Quelques jours plus tard, passé Aniba et Abou
Simbel, les embarcations ralentirent à nouveau. Les bancs de sable se
déplaçaient sans cesse. Les mouches de plus en plus nombreuses semblaient venir
du sud. Elles incommodaient gens et bêtes par leur ténacité à se coller sur la
peau.
Bientôt, il y eut des piaffements et des
rugissements qui provenaient des cages situées à l’arrière. La queue de
Princesse, la lionne, battait sans cesse le long de ses flancs et les chevaux agitaient
leurs crinières pour écarter les insectes de plus en plus gênants.
Près d’Abou Simbel, le paysage se fit
désertique. Sur les berges, d’affreuses mottes de terre séchées durcissaient
comme des morceaux d’argile cuits.
Bouhen était proche, mais les étendues de
sable, étouffées par la chaleur, n’offraient pas les oueds verdoyants qu’ils
avaient l’habitude de présenter au regard des voyageurs et à leurs bouches
assoiffées.
Des oryx et des antilopes s’aventuraient hors
de leurs troupeaux pour chercher un filet d’eau dans le désert. Si les
crocodiles affamés avaient disparu des rivages, les hyènes et les chacals
avaient pris le relais. Séchât et ses enfants les entendaient hurler la nuit et
ce n’était certes pas rassurant car, eux aussi, s’aventuraient jusqu’au milieu
du fleuve pour se désaltérer.
La nuit, ces animaux malfaisants pouvaient
fort bien sauter à bord et, lorsqu’ils attrapaient une proie, ils ne la
lâchaient plus. Dès que le soleil commençait à se coucher, les deux hommes les
surveillaient avec une vigilance extrême. Pour mieux voir, des torches allumées
étaient disposées autour des bateaux et Séchât évitait aussi de fermer l’œil
pour observer les silhouettes allongées de ses enfants au repos.
À Aksha, les contreforts de Bouhen se dessinèrent.
— Ne reste pas sur le bord ! jeta
Séchât en regardant son fils se pencher pour mieux inspecter les alentours.
— Est-ce là Bouhen ? dit l’enfant.
— Hélas, ce paysage désertique a changé
complètement la physionomie des alentours.
Un instant, Séchât se remémora avec plaisir
les jours passés avec Neb-Amon qui, pour la première fois, voyageait dans le
sud. Il y avait plus de six ans qu’elle avait présenté à son mari le domaine
hérité de son grand-père. Le cœur battant, elle lui avait présenté toute la
maisonnée, serviteurs, fermiers, jardiniers, maraîchers. Tout le personnel s’était
courbé devant le nouveau maître et Neb-Amon avait tout observé sous le regard
ravi de Séchât.
Ensemble, ils avaient été voir les ateliers de
tissage, ceux de poterie et d’émaillerie, les fabriques de papyrus et même,
tout au fond, encastrée entre deux montagnes que resserrait un horizon bleu
comme le lapis-lazuli, à l’extrême limite sud, la grande carrière d’où on
extrayait le grès rouge de Nubie.
À Bouhen, quelques scribes qui ne connaissaient
rien d’autre que les chiffres écrivaient sur leurs tablettes le travail de la
journée. Un métayer et deux aides surveillaient l’ensemble du territoire. Puis,
les laiteries où s’alignaient les jarres de lait frais caillé avaient aussi
fait l’objet d’une attention particulière. Enfin, l’immense potager, là où
Neb-Amon voyait déjà pousser un grand carré d’herbes et de plantes médicinales.
— Satiah, que fais-tu ? dit Séchât
en voyant sa fille tendre l’oreille.
— N’entends-tu pas un bruit étrange ?
— C’est par là, fit Rekmirê en tendant
son bras vers les cages.
Un chuintement bizarre arrivait à leurs
oreilles.
Ce fut bientôt un rugissement profond, bas, langoureux,
comme le raclement d’un morceau de calcaire sur un autre calcaire.
Kaméni cria et pointa son index sur le côté
gauche.
— C’est un lion qui cherche à boire.
— Un lion ! s’exclama Rekmirê. Je
veux le voir.
— Tu restes
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