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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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à l'in térieur.
    De nos
jours, les pensionnaires de
l'asile étaient recrutés dans les rangs des vieillards moribonds aban donnés,
déments, indigents, voire
déséquilibrés qui han taient les bas-fonds pléthoriques de Barcelone. Fort heureusement pour eux, une fois admis, la
plupart ne faisaient pas
de vieux os : l'état des locaux et l'environ nement n 'invitaient pas à la longévité. Selon Fermín, les défunts étaient enlevés peu avant l'aube et accomplis saient leur dernier voyage à la fosse commune dans un chariot, don d'une entreprise d'Hospitalet de Llobregat
spécialisée dans les produits de boucherie-charcuterie de réputation douteuse
qui, quelques années plus tard devait être impliquée dans un sombre scandale.
    – Tout cela sort de votre imagination, protestai-je,
accablé par ce tableau dantesque.
    – Mes facultés inventives ne vont pas jusque-là, Daniel.
Attendez et vous verrez. J'ai visité la maison en de tristes circonstances il y a dizaine d'années, et je peux vous dire qu'elle paraissait avoir eu votre ami
Julián Carax pour décorateur. Dommage que nous ne nous soyons pas munis de
feuilles de laurier pour atténuer les parfums qui s'en dégagent Mais nous
allons avoir assez de travail comme ça pour obtenir qu’on nous laisse entrer.
    Méditant ces inquiétantes perspectives, nous abordâmes
la rue Moncada qui, à cette heure-là, n’était déjà plus qu'un passage ténébreux
bordé d'antiques demeures transformées en entrepôts et en ateliers. La litanie
des cloches de Santa María del Mar scandait l’écho de nos pas. Bientôt, des
effluves amers et pénétrants s’infiltrèrent dans le vent froid de l’hiver.
    – Quelle est cette odeur ?
    – Nous sommes arrivés, annonça Fermín.
     
     
     
     
     
    17
     
     
     
     
    Nous franchîmes un portail en bois pourri et débouchâmes
dans une cour éclairée de lampes à gaz qui projetaient des taches sur des
gargouilles et des anges de pierre rongée aux traits décomposés. Des marches
conduisaient au premier étage, où un rectangle de clarté vaporeuse dessinait
l'entrée principale de l'asile. La lumière qui émanait de cette ouverture
teintait d'ocre le brouillard de miasmes qui s'échappait de l'intérieur. Une silhouette
anguleuse et rapace nous observait de sous le porche. On pouvait distinguer
dans la pénombre son regard perçant, de la même couleur que l'habit Elle
portait un seau en bois qui fumait et répandait une puanteur indescriptible.
    – Je-vous-salue-Marie-pleine-de-grâce-le-Seigneur-est-avec-vous !
clama Fermín avec enthousiasme et sans reprendre son souffle.
    – Et la caisse, où est-elle ? répliqua d'en haut
une voix de rogomme.
    – Quelle caisse ? répondîmes-nous à l'unisson.
    – Vous n'êtes pas des pompes funèbres ? s'enquit la
bo nne sœur
d'un ton las.
    Je me demandai si c'était un commentaire sur notre as pect ou s'il s'agissait seulement d'une question innoce nte. Le visage de Fermín s'illumina devant cette chance
providentielle.
    – La caisse est dans la fourgonnette. Nous voulions
d'abord reconnaître le client. Simple problème technique.
    Je sentis monter une nausée.
    – Je croyais que M. Collbató viendrait lui-même, dit la sœur.
    – M. Collbató vous prie de l'excuser, mais il a dû
exécuter un embaumement de dernière minute très compliqué : un hercule de
foire.
    – Vous travaillez avec M. Collbató aux pompes
funèbres ?
    – Nous sommes respectivement son bras droit et son bras gauche. Wilfredo Velludo pour vous servir, et je vous présente mon apprenti, le jeune Sansón Carrasco.
    – Enchanté, complétai-je.
    La bonne sœur procéda à une inspection sommaire de nos
personnes et acquiesça, indifférente à la paire d'épouvantails à moineaux qui se reflétait dans
ses yeux.
    – Bienvenue à Santa Lucia. Je suis sœur Hortensia, c'est
moi qui ai appelé. Suivez-moi.
    Nous suivîmes sœur Hortensia sans desserrer les dents le long d'un
corridor caverneux dont l'odeur me rappela les tunnels du métro. Il était
flanqué de cadres sans portes par lesquels on devinait des salles éclairées de
bougies, occupées par des rangées de lits disposés contre les murs et surmontés de moustiquaires qui
ondulaient comme des suaires. On entendait des gémissements venant de formes
allongées derrière les rideaux.
    – Par ici, indiqua sœur Hortensia qui nous précé dait de quelques mètres.
    Nous pénétrâmes sous une large voûte, et je n'eus pas
de

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