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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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la
tête.
    – Mère Nature est une grande putain, voilà la triste
vérité, dit-il. Hardi, et sus au taureau !
    Ma première tournée d'interrogatoires ne m'apporta que
regards vides, gémissements, éructations et jurons de la part de tous ceux que
je questionnai sur l'endroit où se trouvait Jacinta Coronado. Quinze minutes
plus tard, je baissai pavillon et allai retrouver Fermín pour vérifier s'il
avait eu plus de chance. Le découragement s'était emparé de lui.
    – Comment allons-nous trouver Jacinta Coronado dans
cette tanière ?
    – Je ne sais pas. Ils sont complètement gâteux. J'ai
essayé le coup des Sugus, mais ils les prennent pour des suppositoires.
    – Et si nous demandions à sœur Hortensia ? Nous
lui dirons la vérité, voilà tout.
    – La vérité, on ne la dit qu'en dernier recours, Daniel,
et encore moins quand on s'adresse à une bonne sœur. Nous n'avons pas tiré nos
dernières cartouches. Regardez ceux-là, ils ont l'air très éveillés. Ça doit
être des malins. Allez les interroger.
    – Et vous, pendant ce temps ?
    – Moi, je surveillerai l'arrière-garde, au cas où le
pingouin reviendrait. Exécution !
    Sans guère d'espoir de réussite, je me dirigeai vers le
groupe de pensionnaires qui occupait le coin de la salle.
    – Bonsoir, leur dis-je, en comprenant l'absurdité de
mon salut, car il n'y avait chez eux ni matin ni soir, ni jour ni nuit. Je
cherche Mme Jacinta Coronado. Co-ro-na-do. Est-ce que l'un de vous la connaît
ou peut me dire où la trouver ?
    Face à moi, quatre regards avides. Ils donnent encore
signe de vie, pensai-je. Tout n'est peut-être pas perdu. J'insistai :
    – Jacinta Coronado ?
    Les quatre pensionnaires échangèrent des coups d'oeil.
L'un d'eux, bouffi et sans un poil visible sur le corps, semblait être le chef.
Son visage et sa corpulence, à la lumière de ce terrarium scatologique, me
firent penser à un Néron heureux jouant de la harpe pendant que Rome
s'effondrait à ses pieds. Pétri de majesté, l'empereur me sourit d'un air
farceur. Je lui rendis son sourire, rempli d'espoir.
    L'intéressé me fît signe d'approcher, comme s'il
voulait me parler à l'oreille. J'hésitai, mais obtempérai,
    – Pouvez-vous me dire où trouver Mme Jacinta
Coronado ? demandai-je une dernière fois.
    Je collai mon oreille contre les lèvres du
pensionnaire, et je pus sentir son odeur fétide et chaude sur ma peau. Je crus qu'il allait me mordre mais, sans crier gare, il lâcha un vent
d'une puissance formidable. Ses compagnons éclatèrent de rire et battirent des
mains. Je reculai de quelques pas, mais l'odeur de la flatulence m'avait déjà atteint sans remède. C'est alors que j'avisai près de moi vieillard ratatiné sur lui-même, doté d'une barbe de p rophète, d'un crâne dégarni et d'un regard de feu, qui s 'appuyait sur un bâton et les contemplait avec mépris.
    – Vous perdez votre temps, jeune homme. Juanito ne sait
que lâcher des pets, et eux, tout ce qu'ils savent faire, c'est en rire et les
inhaler. Comme vous voyez, ici, la structure sociale n'est pas. très différente
de celle du monde extérieur.
    Le vieux philosophe parlait d'une voix grave avec une
diction parfaite. Il me regarda de bas en me jaugeant.
    – J'ai cru entendre que vous cherchiez Jacinta ?
    J'acquiesçai, interloqué par cette apparition d'une vie
intelligente au milieu d'un tel antre d'horreurs.
    – Et pourquoi la cherchez-vous ?
    – Je suis son petit-fils.
    – Et moi le marquis de Matoimel. Un fichu
menteur, voilà ce que vous êtes. Dites-moi pourquoi, ou je fais l'idiot. Ici,
c'est facile. Et si vous pensez continuer à interroger un à un ces misérables,
vous ne tarderez pas à en être convaincu.
    Juanito et sa cour d'amateurs d'odeurs suaves riaient
toujours comme des bossus. Le soliste exécuta alors un bis, plus amorti et plus
prolongé que le morceau précèdent, en forme de sifflement qui évoquait un pneu
qui se dégonfle et démontrait clairement que Juanito possédait un contrôle de
son sphincter proche de la virtuosité. Je me rendis à l'évidence.
    – Vous avez raison. Je ne suis pas de la famille de Mme
Jacinta Coronado, mais j'ai besoin de lui parler, il s'agit d'une affaire d'une
extrême importance.
    Le vieillard se rapprocha de moi. Il avait un sourire
félin d'enfant gâté, et la ruse brillait dans ses yeux.
    – Vous pouvez m'aider ? le suppliai-je.
    – Oui, mais à condition que vous m'aidiez, vous aussi.
    – Si c'est dans

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