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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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arrachai la lettre des mains. La pluie lui fouettait le visage,
balayant ses l armes et sa rage.
Je lui fis regagner l’intérieur de la villa et l’entraînai devant la chaleur du foyer. Elle fuyait mon regard. Je pris l'enveloppe et la jetai dans les
flammes. Nous contemplâmes la
lettre qui se fen dillait dans
les braises, et les pages qui s'évaporaient en volutes de fumée bleue, une à une. Bea s'agenouilla près de moi, des larmes dans les yeux. Je la serrai dans les bras et sentis son haleine dans mon cou.
    – Ne m'abandonne pas, Daniel, murmura-t-elle.
    L 'homme le plus sage que j'aie jamais connu, Fermín
Romero de Torres, m'avait expliqué un jour qu'il n'existait pas dans la vie d'expérience
comparable à celle de la
première fois où l'on déshabille une femme. Dans sa sagesse, il ne m'avait pas menti, mais il ne m'avait pas dit non plus toute la vérité. Il ne m'avait rien dit
de cet étrange
tremblement des mains qui trans formait chaque bouton, chaque fermeture, en travail de titan. Il ne m'avait rien dit de la magie de la chair pâle et frémissante, du premier frôlement des lèvres, ni du mirage qui semblait flamber dans chaque pore de la peau. Il ne m'avait rien mentionné de tout cela, parce qu'il savait qu'en le faisant il parlerait un langage de secrets qui, à peine dévoilés, s'enfuiraient à tout jamais. Mille fois j'ai voulu retrouver cette première après-midi avec Bea dans la villa de l'avenue du Tibidabo où la
rumeur de la pluie effaçait le monde. Mille fois j'ai vo ulu revenir en arrière et me perdre dans un souvenir dont je
peux tout juste sauver une image dérobée à la lueur des flammes. Bea, nue et
luisante de pluie, allongée devant le feu, m'offrant un regard qui m’a
poursuivi toute ma vie. Je me penchai sur elle et parcourus son ventre du bout
des doigts. Bea ferma les yeux et me sourit, sûre et forte.
    – Fais-moi ce que tu veux, Daniel, murmura-t-elle.
    J'avais dix-sept ans et la vie à fleur de lèvres.
     
     
     
     
     
     
    16
     
     
     
     
    La nuit était tombée quand nous quittâmes la villa
enveloppés d'ombres bleues. L'orage avait laissé un souffle de bruine froide.
Je voulus rendre la clef à Bea mais, d'un regard, elle me signifia de la
garder. Nous descendîmes jusqu'au cours San Gervasio dans l'espoir de trouver
un taxi ou un autobus. Nous marchions en silence, nous tenant par la main sans
nous regarder.
    – Je ne pourrai pas te revoir avant mardi, dit Bea d'une
voix mal assurée, comme si, soudain, elle doutait de mon désir d'être de
nouveau près d'elle
    – Je t'attendrai au même endroit, dis-je.
    Je tins pour acquis que toutes mes rencontres avec Bea
auraient lieu entre les murs de cette vieille demeure, que le reste de la ville
ne nous appartenait pas. Il me sembla même que sa main dans la mienne devenait
moins ferme, que sa force et sa chaleur diminuaient à chaque pas. En arrivant
sur le cours, nous constatâmes que les rues étaient pratiquement désertes.
    – Nous ne trouverons rien ici, dit Bea. Il vaut mieux
descendre la me Balmes.
    Nous prîmes la rue Balmes en marchant sous les arbres
pour éviter la pluie fine et,
peut-être, ne pas avoir à nous regarder.
Il me sembla que Bea hâtait par moments le pas et qu'elle se détachait presque de moi. Je crus même un instant
que, si je lâchais sa main, elle allait se mettre à courir. Mon imagination, pleine encore du contact et du goût de son corps, brûlait du désir de la faire
asseoir sur un banc, de
l'embrasser, de lui réciter la litanie des fadaises qui auraient fait mourir de rire n’importe qui
d’autre que moi. Mais Bea était
absente. Quelque chose chose la rongeait, et tout en elle criait silencieusement.
    – Qu'est-ce
qu 'il y a ? murmurai-je.
    Elle m'adressa un sourire las où se lisaient la peur et la solitude. Je me vis alors dans ses yeux : un garçon transparent qui croyait
avoir conquis le monde en une heure et qui ne savait pas encore qu'il pouvait
le perdre en une minute. Je continuai de marcher, sans attendre de réponse.
Me réveillant enfin. Bientôt, on entendit le grondement de la circulation et
l'air sembla s'embraser comme une bulle de gaz à la
chaleur des réverbères et des feux de croisement qui me firent penser à une
muraille invisible.
    – Il vaut mieux que nous nous quittions ici, dit Bea, en
libérant sa main.
    On apercevait les lumières d'une station de taxis au coin de
la rue, comme une file de vers luisants.
    – Comme tu

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