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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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votre costume d'enfant de
chœur car, cette après-midi,nous
fermerons et nous irons rendre une visite charitable à la vieille dans son
asile de Santa Lucia. Et maintenant, racontez-moi comment ça s'est passé avec
votre pouliche. Ne restez pas hermétique, sinon ce que vous ne voulez pas me
raconter vous ressortira sous forme de pustules.
    Je soupirai, vaincu, et me confessai de A à Z. A u terme de mon récit et du décompte de
mes angoisses existentielles de collégien attardé, Fermín me fit la surprise
d’une soudaine et puissante accolade.
    – Vous êtes amoureux,
murmura-t-il, ému, en me tapant dans le dos.
Pauvre petit.
    L'après -midi,
nous quittâmes la librairie à l'heure de la plus grande
affluence, ce qui nous valut un regard assassin de mon
père qui commençait à soupçonner que nous tramions quelque
chose de louche. Fermín b afouilla une excuse
incohérente à propos de rendez- vous urgents, et
nous nous éclipsâmes. Je me dis que, tôt ou tard, il
faudrait révéler à mon père une partie au moins de ce sac
d'embrouilles : laquelle exactement, c'était une autre
affaire.
    En chemin, avec
son habituelle prédilection pour le folklore feuilletonesque, Fermín me mit au
fait des anté cédents du lieu où nous nous rendions. L'asile de Santa Lucia était une
institution mythique qui survivait dans les entrailles d'un
ancien palais en ruine de la me Monc ada. La légende qui
l'entourait le situait à mi-chemin entre un purgatoire et
une morgue aux conditions sanita ires abyssales. Son
histoire était pour le moins singu lière. Depuis le XI e siècle, il avait hébergé, entre autres, plusieurs familles de
noble extraction, une prison, un salon de courtisanes,
une bibliothèque de livres mis à l'index, un atelier de
sculpture, un hospice pour pesti férés et un couvent. Au
milieu du XIX e siècle, alors qu'il tombait pratiquement
en ruine, le palais avait été trans formé en musée des
difformités et des phénomènes de foire par un
imprésario extravagant qui se faisait appeler Laszlo de
Vicherny, duc de Parme et alchimiste privé de la maison de
Bourbon, mais dont le vrai nom était Baltasar Deulofeu i Carallot, natif
d'Esparraguera, gigolo et aigrefin professionnel.
    Le susdit s'enorgueillissait de posséder la collection
la plus exhaustive de fœtus humanoïdes aux différents stades de malformation
conservés dans des bocaux de formol, pour ne pas parler de sa collection plus
complète encore de mandats d'amener délivrés par les polices de la moitié de l'Europe et de l'Amérique. Le Tenebrarium (car c'est ainsi que Deulofeu l 'avait rebaptisé à sa création) offrait, entre autres attractions, séances
de spiritisme, nécromancie, combats de coqs, de rats, de chiens, de femmes à
barbe, de culs-de-jatte, ensemble ou séparément, où il n'était pas interdit de parier, un bordel spécialisé en infirmes et en monstres,
un casino, un cabinet de conseils juridiques et finan ciers, une fabrique de philtres d'amour, une salle de spectacle de folklore régional, de marionnettes et de danseuses exotiques. A Noël, on y mettait en scène, en faisant appel au personnel du musée et du lupanar, une
crèche vivante, les Pastorets , dont la renommée avait atteint les confins les plus reculés de la province.
    Durant quinze ans, le Tenebrarium avait connu un succès mérité, jusqu'au jour où l'on avait découvert que
Deulofeu avait séduit en une seule semaine la femme, la fille et la belle-mère
du gouverneur militaire de la province. Du coup, la plus noire ignominie
s’était abattue sur le centre récréatif et son fondateur. Avant que Deulofeu
ait pu s'enfuir de la ville et revêtir une autre de ses multiples identités,
une bande de justiciers masqués lui avait donné la chasse dans les ruelles du
quartier de Santa Maria et avait fini par le pendre et le brûler dans la
Citadelle, abandonnant ensuite ses restes aux chiens sauvages qui rôdaient dans les parages. Après être resté
inoccupé pendant deux décennies sans que personne se soucie d'enlever la
collection d'horreurs de l’infortuné Laszlo, le Tenebarium avait été transformé en institution de charité publique et confié à un ordre de
religieuses.
    – Les Dames du Dernier Supplice, ou une incon gruité morbide de ce genre, dit Fermín. L'ennui, c'est qu'elles veillent jalousement sur le secret de leurs acti vités (par mauvaise conscience, j'imagine),
ce qui nous oblige à inventer un subterfuge pour nous glisser

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