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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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Aldaya mourut, beaucoup accusèrent les maléfices qui hantaient la
villa, mais son fils Jorge sut qu'elle avait été tuée par le feu qui la
dévorait de l’intérieur, que les cris de Penélope et ses coups désespérés conte
la porte n'avaient cessé de résonner en elle. La famille était en plein déclin,
et la fortune des Aldaya s'écroulait comme châteaux de sable sous la marée des
convoitises effrénées, de la revanche et de la marche inéluctable de
l'histoire. Des secrétaires et des comptables mirent au point le départ en
Argentine, début d'un nouveau commerce plus modeste. Il importait avant tout de
mettre de la distance. De fuir les spectres qui hantaient les couloirs de la
villa Aldaya depuis toujours.
    Les Aldaya partirent un matin
de 1922 dans le plus obscur des anonymats, voyageant sous un taux nom sur le
bateau qui devait les mener à travers l'Atlantique au port de La Plata. Jorge
et son père partageaient la même cabine. Le vieil Aldaya, portant sur lui
l’odeur de la mort et de la maladie, tenait à peine debout. Les médecins à qui
il n'avait pas permis de visiter Penélope le craignaient trop pour lui dire la
vérité, mais il savait que la mort avait embarqué sur le même bateau, et que ce
corps que Dieu avait commencé à lui voler le jour où il avait décidé de connaître
son fils Julián se consumait. Au cours de la traversée, installé sur le pont,
grelottant sous les couvertures et affrontant le vide infini de l'océan, il sut
qu'il ne reverrait pas la terre. Parfois, assis à l'arrière, il observait la
bande de requins qui suivait le navire depuis l'escale de Tenerife. Il avait
entendu un officier de bord dire que cette escorte sinistre était habituelle
dans les navigations transocéaniques. Les squales se nourrissaient des
charognes que le bateau laissait dans son sillage. Mais, pour Ricardo Aldaya,
c'était lui que ces démons suivaient « Vous m'attendez », pensait-il
et il voyait en eux le véritable visage de Dieu. C'est alors qu'il fit jurer à
son fils Jorge, qu'il avait tant méprisé et auquel il lui allait maintenant
recourir, d'accomplir sa dernière volonté.
    – Tu trouveras Julián Carax,
et tu le tueras. Jure-le-moi.
    En se réveillant un matin,
deux jours avant l'arrivée à Buenos Aires, Jorge vit que la couchette de son
père était vide. Il sortit pour le chercher sur le pont désert, couvert de
brouillard et d'embruns. Il trouva son peignoir abandonné sur la plage arrière,
encore tiède. Le sillage du navire se perdait dans une forêt de brumes
écarlates, et l'océan saignait, luisant et calme. On put constater alors que la
bande de requins ne les suivait plus, et que, au loin, un cercle de nageoires
dorsales semblait danser. Jusqu'à la fin de la traversée, aucun voyageur ne
revit les squales, et quand Jorge Aldaya débarqua à Buenos Aires et que
l'officiel des douanes lui demanda s'il voyageait seul, il se borna à répondre
oui II voyageait seul depuis longtemps.
     
     
     
     
     
     
    5
     
     
     
     
    Dix ans après son arrivée à
Buenos Aires, Jorge Aldaya, ou la loque humaine qu'il était devenu, revint à
Barcelone. Les malheurs qui avaient commencé à disloquer la famille Aldaya sur
le vieux continent n'avaient fait que se multiplier en Argentine. Là, Jorge
avait dû affronter seul le monde et l'héritage moribond de Ricardo Aldaya, un
combat pour lequel il n'avait jamais eu les armes ni l'aplomb de son père. Il
avait débarqué à Buenos Aires le cœur vide et l'âme déchirée de remords. L'Amérique, devait-il dire
plus tard en manière d'excuse ou d’épitaphe, est un mirage, une terre de
prédateurs et de charognards, alors qu'il avait été élevé pour les privilèges
et les façons absurdes de la vieille Europe, cadavre qui tenait debout par là
force d'inertie. En quelques années, il avait tout perdu, en commençant par sa
réputation et en finissant par sa montre en or, cadeau de son père pours a
première communion. Grâce à elle, il put acheter le billet de retour. L'homme
qui rentra en Espagne était une épave, un sac d'amertume et d'échecs, qui ne
possédait rien d'autre désormais que la mémoire de tout ce qu'on lui avait
arraché et la haine pour celui qu'il considérait comme le coupable de sa
ruine : Julián Carax.
    La promesse qu'il avait
faite à son père le taraudait toujours. Dès qu'il se retrouva à Barcelone, il
chercha les traces
de Julián, pour découvrir que, comme lui, celui-ci semblait

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