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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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monde
présentable.
    En mars 1932, quelques semaines
après leur rencontre au café Novedades, Jorge Aldaya commença de se sentir
mieux et ouvrit son cœur à Fumero. Il lui demanda pardon pour tout le mal qu'il
lui avait fait dans leur adolescence et, les larmes aux yeux, lui raconta toute
son histoire, sans rien omettre. Fumero, très attentif, l'écouta en silence. En
fait, il se demandait s'il devait tuer Aldaya sur-le-champ ou attendre. Il
jugea qu'Aldaya était si faible que la lame du couteau plantée dans sa chair
malodorante et ramollie par l'oisiveté lui procurerait une trop douce agonie.
Il décida d'ajourner la vivisection. L'histoire l'intriguait, surtout la partie
concernant Julián Carax.
    Il savait, par les
renseignements qu'il avait pu obtenir aux éditions Cabestany, que Carax vivait
à Paris, mais Paris est une grande ville et personne, aux éditions, ne semblait
connaître l'adresse exacte. Personne, sauf une femme du nom de Monfort,
qui refusait de la divulguer. Discrètement, Fumero l'avait suivie deux ou trois
fois à la sortie de son bureau. Il avait réussi à voyager dans le tramway à
moins d'un mètre d'elle. Les femmes ne le remarquaient jamais, ou alors elles
détournaient aussitôt leur regard en feignant à ne pas l'avoir vu. Un soir,
après l'avoir filée jusqu'au porche de sa maison, sur la Plaza del Pino, Fumero
était revenu chez lui et s'était masturbé furieusement en imaginant qu'il
plongeait la lame de son couteau dans le corps de cette femme, deux ou trois
centimètres à chaque coup, avec lenteur et méthode, tout en la regardant dans
les yeux. Peut-être alors daignerait-elle donner l'adresse de Carax et le
traiter avec le respect dû à un officier de la force publique.
    Julián
Carax était la seule personne que Fumero s'était proposé de tuer sans pouvoir y
parvenir. Peut-être parce qu'elle avait été la première, et que, pour cela
comme pour le reste, il faut du temps pour apprendre. En entendant de nouveau
ce nom, il esquissa ce sourire qui faisait si peur à ses deux voisines :
le regard fixe, en se passant lentement la langue sur la lèvre supérieure. Il
se souvenait de Carax embrassant Penélope dans la villa de l'avenue du
Tibidabo. Sa Penélope. Son amour à lui avait été pur, vraiment pur, pensait
Fumero : pareil à ceux que l'on voit dans les films. Fumero aimait
beaucoup le cinéma, il y allait au moins deux fois par semaine. C'est dans une
salle de cinéma qu'il avait compris que Penélope avait été l'amour de sa vie.
Les autres, en particulier sa mère, n'avaient été que des putains. En écoutant
les dernières péripéties du récit d'Aldaya, il décida que, tout compte fait,
une lettre ne le tuerait pas. En fait, il se réjouissait que le destin les au
réunis.
    Il eut une vision, semblable
aux films qu'il goûtait tant : Aldaya allait lui servir les autres sur un
plateau. Tôt ou tard, ils finiraient tous attrapés dans sa toile.
     
     
     
    6
     
     
     
     
    Au cours
de l’hiver 1934, les frères Moliner parvinrent à déshériter Miquel et à
l'expulser de l'hôtel de la rue Puertaferrisa, aujourd'hui vide et en ruine.
Ils voulaient juste le voir à la rue, dépouillé du peu qui lui restait, de ses
livres, de cette liberté et de cet isolement qu'ils considéraient comme une
offense et qui leur mettaient la rage au cœur. Il refusa de m'en parler et de
faire appel à mon aide. C'est seulement quand je vins le chercher à ce qui
avait été son domicile que je sus qu'il était devenu un quasi-clochard. J'y
trouvai les hommes de main de ses frères en train de se livrer à l'inventaire
des lieux et de faire main basse sur ses quelques biens personnels. Depuis
plusieurs nuits, Miquel dormait dans une pension de la rue Canuda, un bouge
lugubre et humide qui avait la couleur et l'odeur d'un charnier. En découvrant
la chambre dans laquelle il s'était confiné, une sorte de cercueil sans
fenêtres avec un châlit de prison, je pris Miquel et l'emmenai chez moi. Il
n'arrêtait pas de tousser et semblait à bout II me dit souffrir d'un rhume mal
soigné, un bobo de vieille fille qui finirait par le quitter à force d'ennui.
Quinze jours plus tard, son état avait empiré.
    Comme il
s'habillait toujours en noir, je mis du temps à comprendre que les taches sur
ses manches étaient du s ang. J'appelai un médecin qui, dès qu'il l'eut
ausculté, me demanda pourquoi je ne l'avais pas fait venir plus tôt. Miquel
avait la tuberculose. Ruiné et

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