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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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aidé.
    – Peut-être sait-elle qu'elle
ne sera pas toujours là, suggéra Miquel.
    Ces mots avaient, pour notre
propre situation, un écho trop proche. Je m'agenouillai près de lui et
l'enlaçai. Je me mordis les lèvres pour qu'il ne me voie pas pleurer.
    – Julián n'aime pas cette
femme, Nuria, affirma-t-il, croyant que c'était la cause de mon chagrin.
    – Julián n'aime personne
excepté lui-même et ses maudits livres, murmurai-je.
    Je levai les yeux et
rencontrai le sourire de Miquel, un sourire de vieil enfant sage.
    – Et dans quelle intention
Fumero révèle-t-il tout ça ?
    Nous ne tardâmes pas à le
savoir. Quelques jours plus tard, un Jorge Aldaya réduit à l'état de spectre
famélique se présenta chez nous, ivre de colère et écumant de rage. Fumero lui
avait dit que Julián allait épouser une femme riche et que la cérémonie se
déroulerait dans des fastes de roman-feuilleton. Depuis des jours, Aldaya était
hanté par des visions où l'auteur de ses malheurs, couvert de paillettes,
chevauchait une fortune que lui-même avait vue disparaître. Fumero ne lui avait
pas précisé qu'Irène Marceau, si elle jouissait d'une certaine aisance
économique, était une tenancière de bordel et
non une princesse de féerie viennoise. Il n'avait pas expliqué que la fiancée
avait trente ans de plus que Carax et qu'il s'agissait moins d'un mariage que
d'un geste de charité envers un homme fini et sans moyens de subsistance. Il ne
lui avait donné ni la date ni le lieu. Il s'était limité à semer les germes
d’une fantasmagorie qui dévorait de l'intérieur le peu que les fièvres avaient
laissé dans son corps desséché et putréfié.
    – Fumero t'a menti, Jorge, lui
dit Miquel.
    – Et c'est toi, le roi des
menteurs, qui oses accuser les autres ! délirait Aldaya.
    Il ne fut pas nécessaire
qu'Aldaya révèle ses pensées qui, dans un corps si délabré, se lisaient presque
mot à mot, sous la peau translucide de son visage cadavérique. Miquel vit clair
dans le jeu de Fumero. Vingt ans plus tôt, au collège San Gabriel, il lui avait
appris à jouer aux échecs. Fumero appliquait la stratégie de la mante
religieuse et possédait la patience des immortels. Miquel envoya une lettre à
Julián pour l'avertir.
    Quand Fumero jugea le moment
venu, il endoctrina Aldaya, distilla dans son cœur tout le venin qu'il avait à
sa disposition et lui annonça que Julián allait se marier dans trois jours. En
sa qualité d'officier de police, argumenta-t-il, il ne pouvait pas se
compromettre dans une affaire de cet ordre. Mais Aldaya, en sa qualité de
civil, pouvait se rendre à Paris et faire en sorte que ce mariage n'ait jamais
lieu. Comment ? questionna un Aldaya fiévreux, consumé par la haine. En le
provoquant en duel et cela le jour de la cérémonie. Fumero lui procura même
l'arme avec laquelle Jorge fut convaincu qu'il allait trouer le cœur plein de
fiel qui avait causé la ruine de la dynastie des Aldaya.
Le rapport de la police parisienne devait préciser par la suite que l'arme
trouvée à ses pieds était défectueuse et ne pouvait faire que ce qu'elle avait
fait : lui exploser au visage. Fumero le savait lorsqu'il la lui avait
remise dans une boîte, sur le quai de la gare de France. Il savait que la
fièvre, la stupidité et la rage aveugle l'empêcheraient de tuer Julián Carax
dans un duel d'honneur démodé, au petit matin dans le cimetière du
Père-Lachaise. Et il savait aussi que si, par impossible, il parvenait à livrer
ce duel, ce serait lui que l'arme tuerait. Ce n'était pas Carax qui devait
mourir dans cette rencontre, mais Aldaya. Son existence absurde, son corps et
son âme en sursis auxquels la patience de Fumero avait permis de végéter,
auraient ainsi servi à quelque chose.
    Fumero
savait, enfin, que Julián n'accepterait jamais de tirer sur son ancien
camarade, moribond et pitoyable. C'est pourquoi il indiqua clairement à Aldaya
la marche à suivre. Il devrait avouer que la lettre écrite jadis par Penélope
pour lui annoncer son mariage et lui demander de l'oublier était une imposture.
Il devrait lui révéler que c'était lui, Jorge Aldaya, qui avait obligé sa sœur
à rédiger ce tissu de mensonges tandis qu'elle pleurait désespérément en
clamant son amour éternel pour Julián. Il devrait lui affirmer qu'elle l'avait
attendu, l'âme brisée et le cœur saignant, triste à mourir de cet abandon. Cela
suffirait. Cela suffirait pour que Carax appuie sur la

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