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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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avait juste besoin de quelques signes d'approbation et de quelqu'un qui
fasse semblant de l'écouter. Le clochard en était au récit des détails
techniques d'un plan secret pour enlever Mme Carmen Polo, épouse Franco, quand
je me rendis compte qu'il pleuvait moins et que l’orage semblait s'éloigner
lentement vers le nord.
    – Il se
fait tard, dis-je en me redressant.
    Fermin
Romero de Torres acquiesça avec une certaine tristesse et m'aida à me mettre debout,
faisant mine d’épousseter mes vêtements mouillés.
    – Ce sera
pour une autre fois, alors, ajouta-t-il, résigné. Mon problème, c'est que je
suis trop bavard. Je commence à parler et... Dites donc, cette affaire
d'enlèvement, ça reste entre vous et moi, hein ?
    – Ne vous
inquiétez pas. Je suis une tombe. Et merci pour le vin.
    Je
m'éloignai en direction des Ramblas. Je m'arrêtai en franchissant le seuil de
la place et tournai la tête vers l'appartement des Barceló. Les fenêtres
demeuraient obscures, ruisselantes de pluie. Je voulus haïr Clara, mais j'en
fus incapable. Haïr pour de bon est un talent qui ne s'acquiert qu'avec l'âge.
    Je me fis
le serment de ne pas la revoir, de ne plus jamais prononcer son nom, de ne plus
jamais penser au temps que j'avais perdu près d'elle. Pour quelque étrange
raison, je me sentis apaisé. La colère qui m'avait fait sortir de chez moi
s'était évanouie. J'eus peur qu'elle ne revienne le lendemain, et avec une
force renouvelée. J'eus peur que la jalousie et la honte ne me consument
lentement quand tout ce que j'avais vécu avec elle aurait disparu, entraîné par
son propre poids, morceau après morceau. Il restait quelques heures avant
l'arrivée de l'aube, et j'avais encore une chose à faire pour pouvoir rentrer à
la maison avec la conscience tranquille.
     
     
    La rue
Arco del Teatro était toujours là, mince brèche dans la pénombre. Un ruisseau
d'eau noire s'était formé au milieu
de la chaussée et descendait comme une procession funéraire vers le cœur du
Raval. Je reconnus le vieux portail et la façade baroque devant lesquels mon père
m'avait conduit un matin, six ans plus tôt. Je gravis les marches et m'abritai
de la pluie sous le porche qui sentait l'urine et le bois pourri. Le Cimetière
des Livres Oubliés évoquait plus que jamais la mort. Je ne me souvenais pas que
le heurtoir était une tête de diablotin. Je la saisis par les cornes et frappai
trois coups. L'écho se répercuta à l'intérieur. Après un moment, je frappai de
nouveau, six coups cette fois, plus forts, jusqu'à me faire mal à la main.
Plusieurs minutes s'écoulèrent encore, et je commençai à croire qu'il n'y avait
personne. Je me recroquevillai contre la porte et sortis le livre de Carax de
sous ma veste. Je l'ouvris et relus la première phrase, qui m'avait captivé des
années plus tôt :
     
     
    Cet été,
il a plu tous les jours, et beaucoup disaient que c'était le châtiment de Dieu
parce qu'au village on avait ouvert un club à côté de l'église, mais moi je
savais que c'était ma faute, et seulement ma faute, parce que j'avais appris à
mentir et que je gardais encore sur les lèvres les dernières paroles de ma mère
sur son lit de mort : « Je n'ai jamais aimé l'homme avec qui je me
suis mariée, j'en aimais un autre dont on m'a dit qu'il était mort à la
guerre ; cherche-le et dis-lui que je suis morte en pensant à lui, car
c'est lui ton véritable père. »
     
     
    Je souris,
en me souvenant de cette première nuit de lecture fiévreuse, six ans plus tôt.
Je refermai le livre et m'apprêtai à frapper pour la troisième et dernière
fois. Avant que mes doigts atteignent le heurtoir, le battant s’entrouvrit
juste assez pour que se profile le gardien, une lampe à huile à la main.
    – Bonsoir, chuchotai-je. Vous êtes
Isaac, n'est-ce pas ?
    Le gardien
m'observa sans sourciller. La lueur de la lampe teintait ses traits anguleux
d'ambre et d'écarlate, et lui conférait une ressemblance sans équivoque avec le
diablotin du heurtoir.
    – Et vous
le fils Sempere, murmura-t-il d'une voix traînante.
    – Vous
avez une excellente mémoire.
    – Et vous
un sens des convenances qui donne la nausée. Vous savez l'heure qu'il
est ?
    Son regard
acéré avait déjà détecté le livre sous ma veste. De la tête, Isaac fit un
mouvement inquisiteur. Je sortis le livre et le lui montrai.
    – Carax,
dit-il. Il ne doit pas y avoir plus de dix personnes dans cette ville qui
connaissent

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