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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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mot.

 
     
     
     
     
     
    1953
     
    Trompeuses Apparences

 
     
     
     
     
     
    1
     
     
     
     
     
    Cette année-là,
l'automne couvrit Barcelone d'un manteau de feuilles mortes qui voltigeaient
dans les rues telle une peau de serpent. Le souvenir de cette lointaine nuit
d'anniversaire m'avait congelé les sens, ou peut-être la vie avait-elle décidé
d'accorder une année sabbatique à mes peines de cœur pour me permettre de
mûrir. Je fus moi-même surpris de ne presque plus penser à Clara Barcel ó , ni à Julián
Carax, ni même à ce fantôme sans visage échappé des pages d'un livre. Le mois
de novembre s'était passé sous le signe de l'abstinence : pas une seule
fois je ne m'étais approché de la Plaza Real pour mendier une brève vision de
Clara à sa fenêtre. Je dois avouer que je n'y avais guère eu de mérite. La
librairie était sortie de sa léthargie, et mon père et moi n'arrivions plus à
suffire à la tâche.
    – Au train où
vont les choses, il va falloir engager quelqu'un pour nous aider dans la
recherche des livres qu’on nous commande, constata mon père. Ce qu'il nous
faudrait, ce serait un oiseau rare, mi-détective, mi-poète, qui se contenterait
d'un salaire modeste et que n'effraieraient pas les missions impossibles.
    – Je crois
connaître le candidat idéal, dis-je.
     
     
    Je dénichai
Fermín Romero de Torres dans son repaire habituel, sous les arcades de la rue
Fernando. Le clochard reconstituait la première page de La Hoja del
Lunes à partir de morceaux ramassés dans une poubelle. L'illustration
du jour était consacrée aux travaux publics et au développement.
    – Bon Dieu,
encore un barrage ! l'entendis-je s'exclamer. Ces fascistes vont finir par
nous transformer tous en une race de batraciens, du genre grenouilles de
bénitier.
    – Bonjour, lui
dis-je doucement. Vous vous souvenez de moi ?
    Le clochard leva
les yeux, et un sourire éclatant illumina aussitôt son visage.
    – Ô heureuse
vision ! Mais pour qui me prenez-vous donc, cher ami ? Vous
accepterez bien un coup de rouge, non ?
    – Aujourd'hui,
c'est moi qui vous invite. Vous n'avez pas faim ?
    – Ça, je ne
dirais pas non à une bonne portion fruits de mer, mais je suis rétamé.
    Sur le chemin de
la librairie, Fermín Romero Torres me raconta tous les tours et détours qu'il
avait dû faire au cours des dernières semaines pour échapper aux forces de
sécurité de l'État et plus particulièrement à sa Némésis, un certain inspecteur
Fumero avec qui, semblait-il, il était en conflit depuis des temps immémoriaux.
    – Fumero ?
demandai-je, me rappelant qu'il s'agissait du nom du militaire qui avait
assassiné le père de Clara au fort de Montjuïc, au début de la guerre.
    Le petit homme,
blême et accablé, hocha la tête. Sale et famélique, il portait sur lui l'odeur
de longs mois de vie dans la rue. Le pauvre n'avait pas la moindre idée de
l'endroit où je le conduisais, et je lus dans son regard comme de la peur, une
anxiété grandissante qu'il s'efforçait de masquer sous un bavardage incessant.
Quand nous fumes arrivés à la librairie, il me lança un regard inquiet.
    – Allons, entrez
donc. C'est la boutique de mon père, à qui je veux vous présenter.
    Le clochard
n'était plus qu'un paquet de nerfs et de crasse. Il protesta :
    – Non, non,
certainement pas, je ne suis pas présentable et ce magasin est trop distingué.
Je vous embarrasserais...
    Mon père apparut
sur le seuil, inspecta le clochard, puis m'interrogea du regard.
    – Papa, voici
Fermín Romero de Torres.
    – Pour vous
servir, dit le clochard, qui tremblait presque.
    Mon père eut un
sourire serein et lui tendit la main. Le clochard n'osait pas la serrer,
honteux de son aspect et des loques qui le recouvraient.
    – Ecoutez, je
crois qu'il vaut mieux que je vous laisse, balbutia-t-il.
    Mon père lui
prit le bras avec délicatesse.
    – Pas question,
mon fils m'a dit que vous déjeuneriez avec nous.
    Le clochard nous
observa, interdit, atterré.
    – Pourquoi ne
monteriez-vous pas prendre un bon bain chaud ? proposa mon père. Et
ensuite, si vous êtes d'accord, nous redescendrons pour aller à Can Solé.
    Fermín Romero de
Torres bafouilla quelques mots inintelligibles. Mon père, toujours souriant, le
mena vers la porte de l'immeuble et dut pratiquement le traîner dans l'escalier
jusqu'à notre étage pendant que je fermais la boutique. A force de prières et
en employant toutes sortes de tactiques

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