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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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Romero de Torres faisaient trembler les
cloisons. Aux portes entrouvertes apparaissaient des visages hâves et affolés,
marqués par des années de pension et de soupe claire.
    – Retournez dans
vos lits, bon Dieu, ce n'est pas un cirque, ici ! s'exclama Mme Encarna,
furieuse.
    Nous nous
arrêtâmes devant la porte de la chambre de Fermín. Mon père frappa doucement.
    – Fermín ?
Vous êtes là ? C'est moi, Sempere.
    Le hurlement qui
traversa la porte me glaça le sang. Même Mme Encarna perdit soudain sa superbe
d'impératrice et porta les mains à son cœur, caché sous les plis abondants de
son opulente poitrine.
    Mon père appela
encore une fois.
    – Ferm í n ? Allons,
ouvrez-moi.
    Fermín hurla
derechef, en se jetant contre les murs et en criant des obscénités à s'en
rompre les cordes vocales. Mon père soupira.
    – Vous avez la
clef de la chambre ?
    – Naturellement.
    – Donnez-la-moi.
    Mme Encarna
hésita. Les voisins avaient de nouveau passé la tête dans le couloir, blêmes de
terreur. Les cris devaient s'entendre à l'autre bout de la ville.
    – Et toi,
Daniel, cours chercher le docteur Bar ó , il habite à
côté, au 12 de la rue Riera Alta.
    – Dites-moi, ne
vaudrait-il pas mieux appeler prêtre ? proposa Mme Encarna. Parce que,
pour moi, il serait plutôt possédé par le démon.
    – Non, c'est du
ressort d'un médecin. Va, Daniel, cours. Et vous, s'il vous plaît, donnez-moi
la clef.
     
     
    Le docteur Bar ó était un
célibataire insomniaque pour combattre l'ennui, passait ses nuits à lire Zola
contempler des images stéréoscopiques de danoise court-vêtues. C'était un
habitué de la boutique de père, et lui-même se qualifiait de morticole de
second rang, mais la moitié des docteurs chics tenant cabinet dans la rue
Muntaner n'avaient pas son coup d’oeil quand il s'agissait de donner un
diagnostic. Une grande partie de sa clientèle consistait en vieilles
prostituées quartier et en malheureux à peine capables de le payer mais il ne
faisait pas la différence avec les autres. Je l'avais souvent entendu dire que
le monde était un pot de chambre et qu'il attendait seulement, pour mourir
paix, que le Barcelona gagne enfin la coupe de la ligue. Il m'ouvrit en robe de
chambre, empestant le vin, un mégot éteint aux lèvres.
    – Daniel ?
    – C'est mon père
qui m'envoie. Pour une urgence.
    A notre arrivée
à la pension, nous trouvâmes Mme Encarna en sanglots, terrorisée, les voisins
couleur de cire fondue et mon père soutenant Ferm í n Romero de
Torres à bout de bras dans un coin de la chambre. Fermín était nu, pleurait et
tremblait de peur. La chambre était dévastée, les murs tachés de quelque chose
dont je ne saurais dire si c'était du sang ou des excréments. Un rapide coup
d'œil suffit au docteur Bar ó pour prendre la
mesure de la situation et, d'un geste, il indiqua à mon père qu'ils devaient
étendre Fermín sur le lit. Le fils de Mme Encarna, qui voulait Fermín boxeur,
les y aida. Fermín gémissait et se contorsionnait comme si un fauve lui
dévorait les entrailles.
    – Mon Dieu, mais
qu'est-ce qu'il a, le pauvre homme ? Qu'est-ce qu'il a ? se lamentait
Mme Encarna le seuil de la chambre, en hochant la tête.
    Le docteur lui
prit le pouls. Il observa ses pupilles avec une lampe et, sans prononcer un
mot, prit un flacon dans la mallette et s'apprêta à lui faire une piqûre.
    – Tenez-le
fermement. Ça l'aidera à dormir. Daniel, donne-nous un coup de main.
    A quatre nous
immobilisâmes Fermín, qui sursauta avec violence quand il sentit l'aiguille
s'enfoncer dans sa fesse. Ses muscles se tendirent comme des câbles d'acier,
mais au bout de quelques secondes ses yeux se voilèrent et son corps retomba,
inerte.
    – Eh là, faites
attention. Cet homme est tellement mal en point qu'un rien peut le tuer, dit
Mme Encarna.
    – Ne vous
inquiétez pas. Il est seulement endormi, la rassura le docteur, tout en
examinant les cicatrices qui couvraient le corps famélique de Fermín.
    Je le vis
soupirer en silence.
    – Fils députa, murmura-t-il.
    – D’où viennent
ces cicatrices ? demandai-je. De coupures ?
    Le docteur fit
signe que non, sans lever les yeux. Il trouva une couverture dans le fouillis
et la mit sur son patient.
    – De brûlures.
Cet homme a été torturé, expliqua-t-il. Ces marques-là sont celles d'une lampe
à souder.
    Fermín dormit
deux jours. Quand il ouvrit les yeux, il ne se souvenait de rien, sauf qu'il
avait cru se

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