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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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cahier à sa place sans l’inspecter, quand
quelque chose s'échappa de ses pages et tomba à mes pieds. C'était une
photographie de la jeune fille qui avait posé avec Julián Carax devant
l'immeuble. Là, elle était dans un somptueux jardin et, entre les cimes des
arbres, on apercevait les contours de la maison qu 'a vait esquissée Carax. Je la reconnus tout de suite. La tour du Frare Blanc dans l'avenue du
Tibidabo. Au dos de la photographie, il y avait ces simples mots :
     
     
    Elle
t'aime, Penélope
     
     
    Je la glissai dans ma poche, fermai le secrétaire et souris à la
concierge.
    – Ça y es ? demanda-t-elle, impatiente de quitter les lieux.
    – Presque. Vous m'avez dit tout à l'heure que, peu après le départ de
Julián pour Paris, une lettre était arrivée pour lui, mais que son père vous
avait dit de la jeter...
    La concierge hésita un instant, puis hocha la tête.
    – J'ai mis la lettre dans le tiroir de la commode l'entrée, au cas où
la Française reviendrait. Elle encore y être...
    Nous allâmes à la commode et ouvrîmes le tiroir du haut. Une enveloppe
brune languissait au milieu d’une collection de montres arrêtées, de boutons et
de pièces monnaie qui n'avaient plus cours depuis vingt ans. Je pris
l'enveloppe et l'examinai.
    – Vous l'avez lue ?
    – Dites donc ! Pour qui me prenez-vous ?
    – Ne vous offusquez pas. C 'aurait été normal étant donné les circonstances, puisque vous croyiez
que le pauvre Julián était mort...
    La concierge haussa les épaules, baissa les yeux et battit en retraite
vers la porte d'entrée. J'en profitai pour mettre la lettre dans la poche
intérieure de ma veste et fermer le tiroir.
    – Écoutez, je ne voudrais pas que vous vous fassiez de fausses idées
sur mon compte, dit la concierge.
    – Mais non, voyons. Qu'y avait-il dans la lettre ?
    – C'était une lettre d'amour. Comme celles qu'on entend à la radio mais
en plus triste, ça oui, parce qu'on voyait bien qu'elle disait la vérité. Même
qu'en la lisant, j'ai eu envie de pleurer.
    – Vous avez un cœur d'or, madame Aurora.
    – Et vous, vous êtes un démon.
     
     
    Cette même après-midi, après avoir pris congé de Mme Aurora en lui
promettant de la tenir informée de mes recherches sur Julián Carax, je me
rendis au bureau de l'administrateur. M. Molins avait connu des temps meilleurs
et végétait maintenant dans un local crasseux, au fond d'un entresol de la rue
Floridablanca. C'était un personnage souriant et ventru collé à un cigare à
demi fumé qui semblait avoir pris racine dans sa moustache. J’eus du mal à
déterminer s'il était endormi ou éveillé, car il respirait comme d'autres
ronflent. Avec ses cheveux gras collés sur le front, il avait un air porcin et
rusé. Il portait un costume dont on ne lui aurait pas donné dix pesetas au
marché aux puces, mais le compensait par une cravate flamboyante aux coloris
tropicaux. A. juger par l'aspect du bureau, on n'y administrait guère que des
nids à rats et les catacombes d'une Barcelone d'avant la Restauration.
    – Nous sommes en travaux, dit Molins, en guise d'excuse.
    Pour briser la glace, je laissai tomber le nom Mme Aurora comme s'il
s'agissait d'une vieille amie de la famille.
    – Vous savez, quand elle était jeune, elle n'avait pas un pouce de
graisse, commenta Molins. Évidemment, avec les années, elle a pris du poids,
mais c'est vrai que moi non plus je ne suis plus celui que j'étais. Tel que
vous me voyez, à votre âge j'étais un Adonis. Les filles se mettaient à genoux
pour que je leur fasse une faveur, quand ce n'était pas un enfant. Le XXe
siècle est une merde. Enfin, en quoi puis-je vous aider, jeune homme ?
    Je lui servis une histoire plus ou moins plausible sur une lointaine
parenté avec les Fortuny. Après minutes de bavardage, Molins se traîna jusqu'à
son classeur et me donna l'adresse de l'avocat chargé des affaires de Sophie
Carax, la mère de Julián.
    – Voyons... José Maria Requejo. Rue Léon-XII, n° 59. Nous lui envoyons
le courrier tous les semestres à une boîte postale de la rue Layetana.
    – Vous connaissez Me Requejo ?
    – J'ai dû parler une ou deux fois au téléphone à sa secrétaire. A vrai
dire, toutes nos relations avec lui se font par correspondance, et c'est ma
secrétaire qui s’en occupe, mais là, elle est chez le coiffeur. Les avocats
d'aujourd'hui n'ont plus de temps à perdre avec les formes comme jadis. Il n'y
a plus de gentlemen dans la

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