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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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comme
l'impression qu'elle ne l'épousera pas.
    – Qu'est-ce que vous en savez ?
    – J'en sais plus que vous sur les femmes et sur le
monde. Comme nous l'enseigne Freud, la femme désire l'opposé de ce qu'elle
pense ou déclare, ce qui, à bien y regarder, n'est pas si terrible, car
l'homme, comme nous l'enseigne monsieur de La Palice, obéit, au contraire, aux
injonctions de son appareil génital ou digestif.
    – Laissez tomber les discours, Fermín, vos ficelles sont
trop grosses. Si vous avez quelque chose à dire, synthétisez.
    – Eh bien, pour aller à l'essentiel : elle n'avait
pas une tête à se marier avec le troufion.
    – Ah non. Et quelle tête elle avait, alors ?
    Fermín se pencha vers moi d'un air confidentiel.
    – La tête de quelqu'un qui est gravement atteint,
asséna-t-il, mystérieux. Et notez bien que je le comme un compliment.
    Comme toujours, Fermín était dans le vrai. Vaincu, je
décidai de lui renvoyer la balle.
    – A propos de personnes gravement atteintes, parlez-moi
donc de Bernarda. Vous l'avez embrassée, ou non ?
    – Ne m'offensez pas, Daniel. Je vous rappelle que vous
vous adressez à un professionnel de la séduction, et le baiser c'est bon pour
les amateurs et les dilettantes en pantoufles. La femme se conquiert petit à
petit. Tout est affaire de psychologie, comme dans une bonne passe de torero.
    – Dites plutôt qu'elle vous a envoyé promener.
    – On n'envoie pas promener Fermín Romero de Torres. Le
problème, c'est que l'homme, pour en revenir à Freud et utiliser une métaphore,
fonctionne comme une ampoule électrique : il s'allume d'un coup et
refroidit aussi vite. La femme, elle, c'est scientifiquement prouvé, s'échauffe
comme une casserole, vous comprenez ? Peu à peu, à feu lent, comme la
bonne fricassée. Mais quand elle est enfin chaude, personne ne peut plus l'arrêter.
Comme les hauts-fourneaux de Biscaye.
    Je soupesai les théories thermodynamiques de Fermín.
    – Et c'est ce que vous faites avec Bernarda ? Vous
mettez la casserole sur le feu ?
    Fermín me fit un clin d'œil.
    – Cette femme est un volcan au bord de l'éruption, avec
une libido de magma en fusion et un cœur de sainte – dit-il en se passant la
langue sur les lèvres. Pour établir un parallèle crédible, elle me rappelle ma
petite mulâtresse de La Havane, qui pratiquait fort dévotement les rites afro-cubains. Mais vu qu'au fond je
suis un gentleman comme on n'en fait plus, je n'en ai pas profité et me suis
contenté d'un baiser sur la joue. Je ne suis pas pressé, vous comprenez ?
Les bonnes choses se font toujours attendre. Il y a des rustres qui s'imaginent
que s'ils mettent la main au cul d'une femme et qu'elle ne proteste pas,
l'affaire est dans le sac. Ce sont des ignares. Le cœur de la femme est un
labyrinthe de subtilités qui défie l'esprit grossier du mâle à l'affût. Si vous
voulez vraiment posséder une femme, il faut d'abord penser comme elle, et la
première chose à faire est de conquérir son âme. Le reste, le réduit douillet
et chaud qui vous fait perdre les sens et la vertu, vous est donné de surcroît.
    J'applaudis solennellement cette harangue.
    – Fermín, vous êtes un poète.
    – Non, je suis comme Ortega y Gasset, un pragmatique,
car la poésie ment, même si elle le fait joliment, et ce que j'affirme est plus
vrai que le pain à la tomate. Comme disait le maître, montrez-moi un don Juan
et je vous prouverai que c'est un pédé déguisé. Ce qui compte pour moi, c'est
la permanence, la pérennité. Je vous prends à témoin : je ferai de
Bernarda une femme, sinon honnête, car elle l'est déjà, du moins heureuse.
    Je lui adressai un sourire approbateur. Son enthousiasme
était contagieux et sa prosodie invincible.
    – Prenez bien soin d'elle, Fermín. Bernarda a trop de
cœur et elle a connu trop de déceptions.
    – Vous croyez que je ne m'en rends pas compte ?
Allons donc, c'est comme si elle portait sur le front la médaille des veuves de
guerre. Puisque je vous dis que j’en connais un bout, sur les vacheries de la
vie : et cette femme, je la comblerai de bonheur, même si ça doit être la
dernière chose que je ferai en ce monde.
    – Promis ?
    Il me tendit la main avec la superbe d'un chevalier du
Temple. Je la serrai.
    – Parole de Fermín Romero de Torres.
     
     
    Le temps dans la boutique passa lentement, avec juste
quelques flâneurs. Au vu de la situation, je suggérai à Fermín de prendre son
après-midi.
    –

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