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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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Après, le chapelier ne se rappelle plus
exactement pourquoi il avait battu sa femme. Il se souvenait seulement de la
colère et de la honte. Alors il se jurait que cela n'arriverait plus, qu'il se
livrerait si nécessaire aux autorités pour qu'elles l'enferment derrière des
barreaux.
    Antoni
Fortuny avait la certitude de pouvoir parvenir, avec l'aide de Dieu, à être un
homme meilleur que ne l'avait été son propre père. Tôt ou tard, cependant ses
poings rencontraient la chair tendre de Sophie et, avec le temps, Fortuny comprit que
s'il ne pouvait être convenablement
son mari, il serait au moins son bourreau. C'est ainsi que, dans le secret, la
famille Fortuny laissa passer les années, imposant le silence aux cœurs et aux âmes, à
tel point que, à force de tant se taire, ils oublièrent les mots capables
d'exprimer leurs véritables sent iments et
devinrent des étrangers qui vivaient sous le même toit,
un parmi d'autres dans la ville infinie.
     
     
    Il était deux heures et demie passées quand je revins à
la librairie. En me voyant entrer, Fermín me lança un regard sarcastique du
haut de l'échelle où il astiquait une collection des Episodes
nationaux de l'illustre
Benito.
    – Ô heureuse vision ! Je vous croyais parti pour
les Amériques, Daniel.
    – Je me suis amusé en route. Et mon père ?
    – Comme vous ne reveniez pas, il est allé faire les
autres livraisons. Il m'a chargé de vous dire qu'il irait cette après-midi à
Tiana pour estimer la bibliothèque privée d'une veuve. Votre père n'a pas
l'habitude de faire des discours. Il a juste dit que vous ne l'attendiez pas
pour fermer.
    – Il était fâché ?
    Fermín fit signe que non en descendant de l'échelle avec
l'agilité d'un chat.
    – Allons donc. Votre père est un saint. Et puis il était
très content de voir que vous vous êtes trouvé une petite amie.
    – Quoi ?
    Fermín me fit un clin d'œil, tout réjoui.
    – Ah ! garnement, on peut dire que vous êtes un
petit cachottier. Et quelle fille, dites donc. Pas du genre à passer inaperçue
dans la rue. Et bien élevée, avec ça. On voit tout de suite qu'elle est allée
dans les bons collèges. Mais quand même, elle avait quelque chose de coquin
dans le regard... Vous savez, si mon cœur n’était pas pris par Bernarda... Parce
que je ne vous ai pas raconté notre goûter... Ça a fait des étincelles, oui,
des étincelles, comme dans la nuit de la Saint-Jean…
    Je l'interrompis :
    – Fermín, de quoi diable êtes-vous en train de
parler ?
    – De votre petite amie.
    – Je n'ai pas de petite amie, Fermín.
    – D'accord. Aujourd'hui, vous les jeunes, vous appelez
ça autrement, « gueurlifrend » ou...
    – Fermín, on rembobine le film. De quoi parlez-
vous ?
    Fermín Romero de Torres me regarda, déconcerté, et leva
une main, doigts joints, pour gesticuler à la mode sicilienne.
    – Eh bien, cette après-midi, entre une heure et heure et
demie, une demoiselle du tonnerre est passé par ici et a demandé si vous étiez
là. Votre père et votre serviteur étaient présents, sains de corps et d'esprit,
je puis vous assurer que la jeune personne n'avait rien d'un fantôme. Je
pourrais même vous décrire son parfum. Lavande, mais en plus doux. Comme un
petit pain tout frais sorti du four.
    – Et cette chose qui sortait tout juste du four a d it qu'elle était ma
petite amie ?
    – Comme ça, en toutes lettres, non, mais elle a eu un de
ces sourires en coin, vous voyez ce que je veux dire, pour annoncer qu'elle
vous attendait vendredi après-midi. Nous, on s'est bornés à additionner deux et
deux.
    – Bea... murmurai-je.
    – Ergo , elle existe, triompha Fermín.
    – Oui, mais ce n'est pas ma petite amie.
    – Alors je ne sais pas ce que vous attendez qu'elle le
devienne.
    – C'est la sœur de Tomás Aguilar.
    – Votre ami l'inventeur ?
    Je fis signe que oui.
    – Raison de plus. Même si elle était l'amie de Gil
Robles, qu'est-ce que ça peut
faire ? Elle est formidable. Moi, à votre place, je n'hésiterais pas.
    – Bea est fiancée. Avec un aspirant qui fait son service
militaire.
    Fermín soupira, contrarié.
    – Ah ! l'armée, fléau et refuge tribal du
corporatisme simiesque. Tant mieux : vous pourrez lui poser des cornes
sans remords, à cet individu.
    – Vous délirez, Fermín. Bea se mariera dès que
l'aspirant aura terminé son service.
    Fermín eut un sourire rusé.
    – Eh bien, pensez-en ce que vous voulez, moi j'ai

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