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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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pouvais m'ôter de l'esprit les insinuations et les
menaces de ce sbire de bas étage. Je me demandais si je devais parler de cette
visite à mon père et à Fermín, mais je supposai que l'intention de Fumero était justement de
semer le doute, l'inquiétude, la peur et l'incertitude parmi nous. J'en conclus
que je n'avais pas à entrer dans son jeu. D'un autre côté, ses insinuations sur
le passé de Fermín m'inquiétaient. Quand je me rendis compte que, pendant un
instant, j'avais accordé du crédit aux propos du policier, j'eus honte de moi.
Après avoir retourné le problème en tous sens, j'optai pour enterrer l'épisode
dans un coin de ma mémoire et en ignorer les implications. En revenant à la
maison, je passai devant l'horlogerie du quartier. Derrière la vitrine, M.
Federico me fit signe d'entrer. L'horloger était une personne affable et
souriante qui n'oubliait jamais de vous souhaiter votre anniversaire et à qui
l'on pouvait s'adresser quand on s'estimait dans l'embarras, sûr qu'il
trouverait la solution. Je ne pus éviter de frissonner à l'idée qu'il figurait
sur la liste noire de l'inspecteur Fumero et me demandai si je devais l'en
avertir, tout en ne sachant pas comment le faire sans m'immiscer dans des
questions qui n'étaient guère de ma compétence. Plus troublé que jamais, je
pénétrai dans l'horlogerie et lui souris.
    – Comment vas-tu, Daniel ? Tu en fais, une tête !
    – Je suis dans un mauvais jour, dis-je. Et vous, monsieur Federico,
comment allez-vous ?
    – A merveille. Les montres sont de plus en mal fabriquées, et je suis
débordé de travail. Si ça continue, je serai forcé d'engager un aide. Ton ami
l'inventeur serait peut-être intéressé ? Il a sûrement une bonne main pour
ça.
    Je n’eus aucun mal à imaginer comment réagirait le père
de Tomás Aguilar à la perspective de voir son fils accepter un emploi dans la
boutique de M. Federico, homosexuel officiel du quartier.
    – Je lui en parlerai.
    – C'est ça, Daniel. A
propos, j'ai dans mon atelier le réveil que ton père m'a confié il y a quinze
jours. Je ne sais pas ce qu'il lui a fait, mais ça lui coûtera moins cher d’en
acheter un neuf que de le réparer.
    Je me rappelai que parfois, les nuits où l'on étouffait
mon père dormait sur le balcon.
    – Il est tombé dans la
rue, dis-je.
    – C'est ce qu'il me semblait. Demande-lui quel modèle il
préfère. Je peux lui fournir un Radiant à très bon prix. Tiens, prends-le, il
pourra l'essayer. S'il lui plaît, il me le paiera, sinon, tu me le rendras.
    – Merci beaucoup, monsieur Federico.
    L'horloger commença d'empaqueter l'ustensile en
question.
    – Haute technologie, disait-il, tout content. A propos,
j'ai été ravi du livre que Fermín m'a vendu l'autre jour. Un roman de Graham
Greene. Ce Fermín est une remarquable recrue.
    J'acquiesçai.
    – Oui, il vaut de l'or.
    – Je me suis aperçu qu'il ne portait jamais de montre.
Qu'il passe me voir, et nous arrangerons ça.
    – Comptez sur moi. Merci, monsieur Federico.
    En me remettant le réveil, l'horloger m'observa
attentivement et fronça les sourcils.
    – Tu es sûr que tout va bien, Daniel ? Juste un
mauvais jour ?
    – Tout va bien,
monsieur Federico. Prenez soin de vous.
    – Toi aussi, Daniel.
    De retour à la maison, je trouvai mon père endormi sur le canapé, le
journal lui couvrant la poitrine. Je posai le réveil bien en vue avec un
mot : « De la part de M. Federico, le vieux est bon pour la
casse. » Je gagnai ma chambre en silence, me couchai sans allumer et sombrai
dans le sommeil en pensant à l'inspecteur, à Fermín et à l'horloger. Quand je
rouvris les yeux, il était deux heures du matin. Je sortis dans le couloir et
vis que mon père s'était retiré dans sa chambre avec le nouveau réveil.
L'appartement était plongé dans le noir, et le monde me semblait plus obscur et
plus sinistre qu'il ne m'était jamais apparu jusque-là. Je compris qu'au fond
je n'avais jamais cru que l'inspecteur Fumero fut réel. Désormais, je le voyais
comme un homme parmi des milliers. J'allai dans la cuisine et me servis un
verre de lait froid. Je me demandai si Fermín était sain et sauf dans sa
pension.
    Une fois dans ma chambre, je tentai de chasser l'image du policier de
mon esprit et de retrouver le sommeil, mais j'avais loupé le coche. J'allumai
et décidai d'examiner l'enveloppe adressée à Julián Carax que j'avais dérobée
le matin à Mme Aurora et qui était restée dans

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