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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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la poche de ma veste. Je la
posai sur mon bureau, sous la lumière de la lampe. C'était une enveloppe en
papier parcheminé, rugueuse, aux bords froissés et jaunis. Le tampon, presque
effacé, indiquait : « 18 octobre 1919 ». Le cachet en cire était
décollé, probablement par les bons offices de Mme Aurora. A la place s'étalait
une tache carmin, comme si du rouge à lèvres avait effleuré le dos
de l'enveloppe sur lequel pouvait lire :
     
    Penélope Aldaya
    Avenue du Tibidabo, n° 32, Barcelone
     
     
    J’ouvris l'enveloppe pour en extraire la lettre, une
feuille de couleur ocre pliée en deux. L'écriture à l'encre bleue courait avec
nervosité, pâlissant par moments pour recouvrer son intensité au bout de quelques mots. Tout, sur cette feuille,
évoquait des temps révolus : le trait esclave de l'encrier,
la plume qui égratignait le papier épais en traçant les mots, la texture
rugueuse du papier lui-même. Je lissai la lettre sur le bureau et la lus en retenant ma
respiration :
     
     
     
     
     
    Cher
Julián.
    J'ai
appris ce matin par Jorge que tu as réellement quitté Barcelone et que tu es
parti à la recherche de tes rêves. J'ai toujours craint que ces rêves ne
t'empêchent d'être jamais à moi, ni à personne. J'aurais aimé te voir une
dernière fois, pouvoir te regarder dans les yeux et te dire ce que je me sens
incapable de confier à une lettre. Rien ne s'est passé comme nous l'avions
espéré. Je te connais trop bien et je sais que tu ne m’écriras pas, que tu ne
m'enverras même pas ton adresse, que tu voudras être un autre. Je sais que tu
me haïras pour ne pas avoir été au rendez-vous comme je te l'avais promis. Que
tu croiras que j’ai manqué à ma parole. Que je n'ai pas eu 'e courage.
    Je t'ai
si souvent imaginé seul dans ce train, convaincu que je t’avais trahi. J'ai
bien des fois essayé de te joindre
à travers Miquel, mais il m'a dit que tu ne voulais plus rien savoir de moi.
Quels mensonges t'ont-ils racontés, Julián ? Que t'ont-ils dit de
moi ? Pourquoi les as-tu crus ?
    Maintenant
je sais que je t'ai perdu, que j'ai tout perdu. Et même ainsi, je ne peux
admettre que tu t’en ailles pour toujours et que tu m'oublies, sans que tu
saches que je ne t'en veux pas, que je le savais depuis le début, que je savais
que je te perdrais et que tu ne verrais jamais en moi ce que je voyais en toi.
Je veux que tu saches que je t'ai aimé depuis le premier jour et que je
continue de t'aimer, plus que jamais, que cela te plaise ou non.
    Je
t'écris en cachette, à l'insu de tout le monde. Jorge a juré que s'il vient à
te revoir il te tuera. On ne me laisse pas sortir de la maison, ni même me
montrer à la fenêtre. Je crois qu'ils ne me pardonneront jamais. Une personne
de confiance m'a promis de t'envoyer cette lettre. Je ne mentionne pas son nom
pour ne pas la compromettre. Je ne sais si ces lignes te parviendront. Mais
s'il en était ainsi et si tu décidais de revenir me chercher, tu trouveras ici
le moyen de le faire. Tandis que j'écris, je t'imagine dans ce train, plein de
rêves et l'âme brisée par la trahison, nous fuyant tous et te fuyant toi-même.
Il y a tant de choses que je ne puis te dire, Julián. Des choses que nous ne
savions pas et qu'il vaut mieux que tu ne saches jamais.
    Je ne
désire rien d'autre en ce monde que te savoir heureux, Julián, que tout ce à
quoi tu aspires devienne réalité et que, même si tu m'oublies avec le temps, tu
puisses comprendre un jour combien je t ai aimé.
     
    Pour
toujours,
    Penélope.

 
     
     
     
     
    4
     
     
     
     
    Les mots de Penélope Aldaya, que je lus et relus cette nuit-là jusqu'à
les connaître par cœur, effacèrent d'un trait de plume le goût acre que m'avait
laissé la visite de l'inspecteur Fumero. Après avoir passé le reste de la nuit
sans pouvoir me rendormir, obsédé par cette lettre et par la voix que j'y
devinais, je sortis très tôt. Je m'étais habillé en silence et avais laissé un
mot à mon père sur la commode de l'entrée, pour le prévenir que j’allais faire
quelques courses et serais de retour à la librairie vers neuf heures et demie.
Quand je passai le porche de l'immeuble, les rues sommeillaient encore dans
l'obscurité, recouvertes d'un manteau bleuté qui flottait sur les ombres et les
flaques laissées par la bruine de la nuit. Je boutonnai ma veste jusqu'au col
et me dirigeai d'un pas rapide vers la place de Catalogne. Les escaliers du
métro exhalaient

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