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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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des volutes de vapeur chaude, lumineuse et cuivrée. Au guichet
des chemins de fer catalans, j'achetai un billet de troisième classe pour la
station de Tibidabo. Je fis le trajet dans un wagon plein de sous-fifres de
l'armée, de femmes de ménage et d'ouvriers, tous nantis de sandwiches de la
taille d'une brique enveloppés dans du papier journal. Je me réfugiai dans la
noirceur des tunnels et appuyai ma tête contre la fenêtre, fermant à demi les
yeux pendant que le train parcourait les entrailles de la ville jusqu'au pied
du Tibidabo. Quand j'émergeai dans la rue, j'eus l'impression de découvrir une
autre Barcelone. Le jour se levait, un filet pourpre griffait les nuages et
effleurait les façades des villas et des maisons de maître qui flanquaient
l’avenue du Tibidabo. Le tramway bleu rampait paresseusement à travers des
lambeaux de brumes. Je courus derrière et réussis à me hisser sur la
plate-forme, sous le regard sévère du contrôleur. Le wagon en bois était
pratiquement désert. Un duo de moines et une dame en deuil au teint cendreux
somnolaient en dodelinant de la tête au rythme de l’attelage de chevaux
invisibles.
    – Je vais seulement au numéro 32, dis-je au contrôleur, en lui offrant
mon meilleur sourire.
    – Vous irez jusqu’au cap Finisterre que ce serait la même chose. Même
les soldats du Christ ont payé leur ticket. Ou vous casquez, ou vous débarquez.
Et je vous fais payer la rime.
    Les frères, qui portaient des sandales et une robe de bure marron d’une
austérité franciscaine, approuvèrent en exhibant leurs tickets roses à titre de
preuve.
    – Dans ce cas, je descends, dis-je. Je n’ai pas de monnaie sur moi.
    – Comme vous voulez. Mais attendez l’arrêt, je ne veux pas d’accidents.
    Le tramway montait presque au pas, en frôlant les frondaisons des
arbres et en longeant les murs et les jardins en demeures aux ambitions de
châteaux que j’imaginais peuplées de statues, de fontaines, d’écuries et de
chapelles secrètes. Je me postai sur un bord de la plate-forme et distinguai la
silhouette de la tour du Frare Blanc qui se découpait entre les arbres.
En arrivant au coin de la rue Román Macaya, le tramway ralentit encore et finit
par s’arrêter tout à fait. Le conducteur fit sonner sa clochette et le contrôleur
me lança un regard comminatoire.
    – Allez-y, petit matin. Grouillez-vous. Le numéro 32 est tout près.
    Je descendis et écoutai le ferraillement du tramway bleu se perdre dans
la brume. La résidence de la famille Aldaya se trouvait au carrefour, gardée
par un portail en fer forgé, envahi de lierre et de ronces. On devinait,
découpée entre les barreaux, une petite porte fermée par un cadenas. Sur la
grille, des chiffres tarabiscotés en fer noir annonçaient le numéro 32.
J’essayai d’apercevoir l’intérieur de la propriété, mais on distinguait tout
juste les arêtes et les arcs d’une grosse tour noire. Une traînée de rouille
saignait du trou de la serrure de la petite porte. Je m’accroupis et tentai
d’avoir une vue de la cour. J’entrevis un fouillis d’herbes folles et le
contour de ce qui me parût être une fontaine ou un bassin d’où émergeait une
main tendue vers le ciel. Je mis quelques instants à comprendre qu’il
s’agissait d’une main de pierre, et qu’il y avait d’autres membres et d’autres
formes invisibles immergés dans la fontaine. Plus loin, derrière le rideau de
broussailles, s’amorçait un escalier de marbre brisé, couvert de décombres et
de feuilles mortes. La fortune et la gloire des Aldaya avaient tourné depuis
longtemps. Cet endroit était un tombeau.
    Je revins sur mes pas pour jeter un coup d’œil sur l’aile sud de la
maison. De là, je pouvais obtenir une vision plus claire d’une des tours de la
villa. A cet instant, j’avisai la silhouette d’un individu à l’air famélique
affublé d’une blouse bleue, qui brandissait un balai avec lequel il martyrisait
les feuilles mortes du trottoir ; il m’observait d’un œil méfiant, et je
supposai qu’il s’agissait du concierge d’une des propriétés avoisinantes. Je
lui souris comme seul sait le faire quelq u'un qui a
passé d'innombrables heures derrière le comptoir d'une boutique.
    – Bonjour cher monsieur, commençai-je cordialement. Savez-vous si la
maison des Aldaya est fermée depuis longtemps ?
    Le petit homme me regarda comme si je l'avais interrogé sur la quadrature
du cercle. Il porta à son menton

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