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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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deux doigts dont la couleur jaune laissait
supposer une faiblesse pour les Celtas sans filtre. Je regrettai de ne pas en
avoir un paquet sur moi pour me ménager ses bons offices. Je fouillai mes
poches à la recherche d'une offrande propitiatoire.
    – Depuis au moins vingt ou vingt-cinq ans, et pourvu que ça continue, dit
le concierge du ton neutre et docile des gens condamnés à servir en courbant
l'échine.
    – Vous êtes ici depuis longtemps ?
    Le petit homme hocha la tête affirmativement.
    – Je suis au service des Miravell depuis 1920.
    – Vous n'auriez pas une idée de ce qu'est devenue la famille Aldaya ?
    – Eh bien, comme vous devez le savoir, ils ont eu plein de problèmes sous
la République. Qui sème le vent... Moi, je sais seulement ce que j'ai entendu
dire chez les Miravell qui, avant, étaient des amis de la famille. Je crois que
le fils aîné, Jorge, est parti à l'étranger, en Argentine. On dit qu'ils
avaient des usines, là-bas. Des gens pleins de fric. Ceux-là retombent toujours
sur leurs pattes. Vous auriez pas une sèche, par hasard ?
    – Malheureusement non, mais je peux vous offrira Sugus, dont il est prouvé
qu'il contient autant de nicotine qu'un Montecristo, et en plus un tas de
vitamines.
    Le concierge fronça les sourcils, quelque peu incrédule, mais accepta. Je
lui tendis le Sugus au citron que m’avait donné Fermín une éternité plus tôt et
que je venais de découvrir dans la doublure de ma veste. J'espérai qu'il
n'avait pas ranci.
    – C'est bon, apprécia le concierge en savourant le caramel caoutchouteux.
    – Vous mastiquez l'orgueil de l'industrie nationale de la confiserie. Le
Généralissime en mange toute la journée. Et dites-moi, avez-vous entendu parler
de la fille des Aldaya, Penélope ?
    Le concierge s'appuya sur son balai pour prendre la posture du penseur de
Rodin debout.
    – Vous devez faire erreur. Les Aldaya n'avaient pas de filles. Seulement
des garçons.
    – Vous en êtes sûr ? On m'a dit que vers 1919 vivait dans cette
maison une jeune fille nommée Penélope Aldaya, probablement la sœur de ce
Jorge.
    – C'est possible, mais comme je vous l'ai dit, moi je ne suis ici que
depuis 1920.
    – Et à qui appartient la maison, aujourd'hui ?
    – D'après ce que je sais, elle est toujours à vendre. On a bien parlé de la démolir
pour construire un collège... A mon avis, c'est la meilleure solution. La raser
jusqu'aux fondations.
    – Pourquoi dites-vous ça ?
    Le concierge prit un air confidentiel. Son sourire révéla qu'il lui
manquait au moins quatre dents du haut
    – Ces gens, les Aldaya... Ils étaient pas clairs Vous êtes sûrement au
courant.
    – Je crains que non. Au courant de
quoi ?
    – Bah, des ragots, et tout ça. Moi, je ne crois pas à ce genre
d'histoires, bien sûr, mais paraît-il que là-dedans, y en a plus d'un qui a
fait dans son froc.
    – Ne me dites pas que la maison est hantée, rétorquai-je en réprimant un
sourire.
    – Vous pouvez rigoler. Seulement il n'y a pas de fumée sans feu.
    – Vous avez vu quelque chose ?
    – Ce qu'on appelle vu, non. Mais j'ai entendu.
    – Vous avez entendu ? Quoi ?
    – Eh bien, il y a longtemps, une nuit que j'accompagnais Joanet à
l'intérieur, parce qu'il avait insisté, bien sûr, vu que moi j'avais rien à y
faire... j'ai entendu, comme je vous ai dit, quelque chose d'étrange. Des
espèces de gémissements.
    Le concierge m'offrit une imitation du bruit en question, qui me parut
ressembler au halètement d'un phtisique tentant de chanter une tyrolienne.
    – Ca devait être le vent, suggérai-je.
    – Que vous dites ! Mais moi, ça m'a donné la chaire de poule, j’vous
jure. Dites donc, vous auriez pas un autre caramel ?
    – Acceptez une pastille Juanola. C’est très tonifiant, après un bonbon.
    – Donnez toujours, se résigna le concierge en ouvrant la main.
    Je lui donnai toute la boîte. Le coup de fouet du réglisse vint à point pour lui humecter la langue et
faciliter le récit de cette rocambolesque histoire de la villa Aldaya.
    – De vous à moi, c'est une drôle d'affaire. Un jour Joanet, le fils aîné
des Miravell, un malabar deux fois grand comme vous (il est dans la sélection
nationale de handball, c’est tout dire)… enfin, des copains à lui avaient
entendu parler de la maison des Aldaya, et ils lui monté le bourrichon. Et lui,
à son tour, il m’a embobiné et m'a persuadé de l'accompagner, parce ce qu’il
avait beau causer et causer,

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