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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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il osait pas y entrer seul. Vous les connaissez,
ces gosses de riches. Il voulait absolument aller là-dedans la nuit pour faire
le faraud devant sa petite amie, mais c'est tout juste s'il m'a pas fait pipi
dessus. Parce que vous voyez la maison de jour, mais la nuit c'est une autre
paire de manches. Toujours est-il que Joanet dit qu'il est monté au deuxième
étage (vu que moi, j'avais refusé d'entrer, vous comprenez, ça n'était pas
légal, même si la maison était abandonnée depuis au moins dix ans) et qu'il y
avait quelque chose là-haut. Il lui a semblé entendre comme une voix dans une
chambre, mais quand il a voulu y entrer, la porte lui a claqué au nez. Vous
imaginez ?
    – C'était peut-être un courant d'air ?
    – Ou autre chose, assura le concierge, en baissant la voix. Ils l'ont dit
l'autre jour à la radio : le monde est plein de mystères. Figurez-vous
qu'ils ont découvert le vrai saint suaire en plein centre de Sardanyola. Il
était cousu derrière un écran de cinéma, pour le cacher aux musulmans qui
veulent s’en servir pour prouver que Jésus-Christ était un nègre. Vous vous
rendez compte ?
    – Ça me laisse sans voix.
    – C'est bien ce que je disais. Un tas de mystères. On devrait démolir
cette maison et répandre de la chaux sur le terrain.
    Je r emerciai M. Remigio pour tous ces renseign ements et m'apprêtai à redescendre l'avenue
jusqu'à San Gervasio. Je levai les yeux et vis que la colline du Tibidab o émergeait de la nuit au milieu de nuages noirs. J’eus soudain envie de
prendre le funiculaire pour monter jusqu’au parc d’attractions qui se trouve au
sommet et me perdre au milieu de ses manèges et de ses stands
d'automates, mais j'avais promis d'être à l'heure à la librairie. En retournant
à la station de métro, j'imaginai Julián Carax descendant le même trottoir,
contemplant les mêmes façades solennelles à peine changées parle le temps, avec
leurs escaliers et leurs jardins ornés de statues, attendant peut-être le même
tramway bleu qui se hissait vers le ciel. Parvenu au bas de l'avenue, je sortis
la photographie de Penélope Aldaya souriant dans la cour de la demeure
familiale. Dans ses yeux on pouvait lire une âme pure. Ils annonçaient déjà
l'époque où elle écrirait : « Elle t'aime, Penélope. »
    J'imaginai
Julián Carax à mon âge, tenant cette photo dans ses mains, peut-être à l'ombre
de l'arbre qui m'abritait en ce moment. Je crus presque le voir, contemplant un
avenir aussi vaste et clair que cette avenue, et je pensai un instant que les
seuls fantômes qui rôdaient en ce lieu étaient ceux de l'absence et de la
disparition, que cette clarté qui me souriait était factice et ne durerait que
le temps de mon regard, quelques secondes à peine.
     
     
     
     
     
     
    5
     
     
     
     
    A mon
retour, je constatai que Fermín ou mon père avait déjà ouvert la librairie. Je
montai à l'appartement pour manger rapidement un morceau. Mon père avait laissé
du pain grillé, de la confiture et un thermos de
café sur la table de la salle à manger. Je me servis largement et redescendis
au bout de dix minutes. J’entrai dans la librairie par la porte de
l’arrière-boutique qui donnait dans le vestibule de l'immeuble et pris dans mon
placard la blouse que je portais pendant mes heures de travail pour protéger
mes vêtements de la poussière des cartons et des étagères. Dans le fond du
placard, je conservais une boîte de fer-blanc qui sentait encore les biscuits
de Camprodón. J'y rangeais toutes sortes de bricoles inutiles mais dont j'étais
incapable de me séparer : montres et porte-plume hors d'usage, monnaies
sans valeur, figurines de plomb, billes, douilles de balles ramassées dans le
parc du Labyrinthe et vieilles cartes postales de la Barcelone du début du
siècle. Au milieu de tout ce fatras surnageait le coin de journal sur lequel
Isaac Monfort m'avait noté l'adresse de sa fille Nuria, la nuit où je m'étais
rendu au Cimetière des Livres Oubliés pour y cacher L'Ombre du Vent . Je
l'étudiai à la lumière poussiéreuse qui passait entre les étagères et les
cartons empilés. Je refermai le couvercle et glissai l'adresse dans la poche de
mon porte-monnaie. J'entrai dans la boutique, décidé à m'occuper l'esprit et
les mains au premier travail banal qui se présenterait.
    – Bonjour,
annonçai-je.
    Fermín
classait le contenu de plusieurs cartons envoyés par un collectionneur de
Salamanque, et mon père se

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