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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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par-dessus la tête – cette tête à la calvitie galopante – de tous les
gens qui le craignaient, l'adulaient et se transformaient en carpettes sur son
passage. Il méprisait les lèche-culs, les pleutres et quiconque faisait preuve
de faiblesse physique, mentale ou morale. Face à ce garçon, tout juste un
apprenti, qui avait eu assez d'audace et d'esprit pour se moquerez lui, il
décida qu'il avait trouvé la chapellerie idéale et doubla sa commande. Toute la
semaine, il vint de bonne grâce à ses rendez-vous pour que Julián prenne ses
mesures et lui fasse essayer des modèles. Antoni Fortuny était émerveillé de
voir le chef de file de la société catalane se tordre de rire aux plaisanteries
et aux histoires que lui racontait ce fils qui lui était inconnu, avec qui il
ne parlait jamais et qui, depuis des années, ne donnait aucun signe d'un
quelconque sens de l'humour. A la fin de la semaine, Aldaya prit le chapelier
pour une conversation confidentielle.
    – Dites-moi, Fortuné, votre fils est doué. Vous n’avez honte de le garder
dans cette boutique de quatre sous à peigner la girafe et mourir d'ennui ?
    – C'est un
bon commerce, monsieur Ricardo, et le garçon fait preuve d'habileté, même s'il
ne sait pas se tenir.
    – Ne dites
pas de bêtises. A quel collège l'envoyez-vous ?
    – Eh bien,
il va à l'école de...
    – Ça,
c'est bon pour le peuple. Chez la jeunesse, le talent, l'esprit, si on ne s'en
occupe pas, se gâchent et dépérissent. Il faut lui donner sa chance. L'aider.
Comprenez-vous, Fortuné ?
    – Vous
vous trompez sur mon fils. Pour ce qui est d’avoir de l'esprit, rien de rien. A
part la géographie, et encore... Ses maîtres disent qu'il est perpétuellement
distrait et que sa conduite est très mauvaise : tout le portrait de sa
mère. Ici, au moins, il aura un métier honorable et...
    – Fortuné,
vous me cassez les pieds. Je vais de ce pas voir le conseil d'administration du
collège San Gabriel pour lui dire d'accepter votre fils dans la même class que
mon aîné, Jorge. Faire moins serait indigne.
    Le
chapelier ouvrit des yeux grands comme des soucoupes. Le collège San Gabriel
était la pépinière du gratin de la haute société.
    – Mais,
monsieur Ricardo, je ne pourrai même pas payer...
    – Personne
ne vous a dit que vous auriez un sou à verser. Je me charge de l'éducation de
ce garçon. Vous, le père, vous avez seulement à dire oui.
    – Dans ce
cas c'est oui, bien sûr, il ne manquerait plus que ça, mais...
    – Inutile d’en dire plus alors. A condition que Julián soit d’accord,
naturellement.
    – Ça serait le comble, s’il ne faisait pas ce qu’on lui ordonne.
    A ce point de la conversation, Julián apparu à la porte de
l’arrière-boutique, une forme de chapeau dans les mains.
    – M. Ricardo, quand vous voulez…
    – Dis-moi, Julián, que fais-tu cet après-midi ?demanda Aldaya.
    Julián regarda son père et l’industriel.
    – Eh bien, je dois aider mon père au magasin.
    – Et à part ça ?
    – Je pensais aller à la bibliothèque de …
    – Tu aimes livres, hein ?
    – Oui, monsieur.
    – As-tu lu Conrad ? Au cœur des
ténèbres  ?
    – trois fois.
    Le chapelier fronça les sourcils, totalement perdu.
    – Et c’est qui ce Conrad ? Peut-on savoir ?
    Aldaya le fit taire d’un geste qui semblait avoir été forgé pour dompter
une assemblée d’actionnaires.
    – J’ai chez moi une bibliothèque de quatorze mille volumes, Julián. Dans
ma jeunesse, j’ai beaucoup lu, mais aujourd’hui je n’ai plus le temps.
Maintenant que j’y pense, j’ai trois livres qui portent la signature autographe
de Conrad. Impossible de faire entrer mon fils Jorge dans une bibliothèque,
même de force. Chez nous, la seule personne qui lit et réfléchit est ma fille
Penélope, donc tous ces livres sont voués à la disparition. Tu aimerais les
voir ?
    Julián acquiesça en silence. Le chapelier assistait à la scène avec une
inquiétude qu’il ne parvenait pas à définir. Tous ces noms lui étaient inconnus. Les romans, chacun le savait, c 'était bon pour les femmes et les
oisifs. Ce titre, Au cœur des
ténèbres, évoquait, pour le m oins, le péché mortel.
    – Fortuné, votre fils vient avec moi, je veux le pré senter à Jorge. Soyez tranquille, nous
vous le rendrons. Dis-moi, mon garçon, es-tu déjà monté dans une Mer cedes Benz ?
    Julián en déduisit que l'industriel
désignait le monument impérial dans lequel il se

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