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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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déplaçait. Il fit non de la tête.
    – Eh bien, tu vas le faire. C'est comme aller au ciel, mais sans avoir
besoin de mourir.
    Antoni Fortuny les vit partir dans cet
équipage de luxe délirant et, en interrogeant son cœur, il n'y trouva que
tristesse. Ce soir-là, en dînant avec Sophie (qui portait sa robe et ses
souliers neufs, et n'avait presque pas de marques de coups), il se demanda en
quoi, cette fois, il s 'était trompé. Juste au moment où Dieu lui rendait un fis, Aldaya le lui enlevait.
    – Ôte-moi cette robe, tu as l'air d'une grue. Et je ne veux plus voir ce vin sur la table.
La piquette cou pée d 'eau suffit. On a déjà assez de frais comme ça.
    Julián n'était jamais allé de l'autre côté de la Diagonale. Cette enfilade d'arbres, d'immeubles et
d'hôtels particuliers ancrés à l'orée d'une ville était une frontière
interdite. Par-delà la Diagonale s'étendaient des collines, des contrées et des
villages aux richesses et aux légendes mystérieuses. Dans la voiture, Aldaya lu i parlait du collège San Gabriel, de
nouveaux amis inc onnus, d'un avenir qu'il n'avait pas cru possible.
    – Et que comptes-tu faire, Julián ? Je veux dire dans
la vie.
    – Je ne sais pas. Je pense parfois que j'aimerais être
écrivain. Romancier.
    – Comme Conrad, hein ? Tu es bien jeune, évidement.
Et, dis-moi, la banque ne te tente pas ?
    – Je ne sais pas, monsieur. A vrai dire, ça ne m'est jamais
venu à l'idée. Je n'ai jamais vu plus de trois pesetas à la fois. La haute
finance est pour moi une énigme.
    Aldaya rit.
    – Ce n'est pourtant pas compliqué, Julián. Le truc, c’est
qu'au lieu d'additionner trois pesetas et trois pesetas, on additionne trois
millions et trois millions. Ça n'est pas le mystère de la Sainte Trinité.
    Cette après-midi-là, en montant l'avenue du Tibidabo,
Julián crut franchir les portes du paradis. Des résidences aux allures de
cathédrales bordaient le chemin. A mi-parcours, le chauffeur prit un virage et
ils franchirent une grille. Immédiatement, une armée de domestiques se mit en
branle pour recevoir le maître. Tout ce que Julián pouvait voir, c'était une
bâtisse majestueuse de trois étages. Il ne lui était jamais venu à l'esprit que
des personnes faites de chair et d'os puissent vivre dans un lieu pareil. Il se
laissa entraîner dans le hall, traversa une salle voûtée d'où partait un escalier
de marbre recouvert d'une moquette de velours, et pénétra dans une grande pièce
dont les murs étaient tapissé de livres du sol à l'infini.
    – Qu'est-ce que tu en dis ? demanda Aldaya.
    Julián l'entendait à peine.
    – Damián, demandez à Jorge de descendre tout suite à la
bibliothèque.
    Les domestiques, sans visage ni présence audible filaient
au moindre ordre de leur maître avec l’efficacité et la docilité d’une troupe
d’insectes bien entraînés.
    – Tu vas avoir besoin d'une garde-robe, Julián. Il y a trop d'imbéciles qui ne remarquent que
l'apparence... Je dirai à Jacinta de s'en charger, tu n'auras pas à t'en soucier. D'ailleurs, mieux vaut que tu ne
mentionnes pas ton père, pour qu'on ne t'embête pas. Regarde, voici Jorge. Jorge, je veux que tu fasses la
connaissance d'un garçon formidable qui sera ton nouveau camarade de classe Julián Fortu...
    – Julián Carax, précisa celui-ci.
    – Julián Carax, répéta Aldaya, satisfait.
Ce nom sonne bien. Je te présente mon fils Jorge.
    Julián tendit la main et Jorge Aldaya
la serra. Son contact était tiède, sans enthousiasme. Son visage avait les traits bien dessinés et la pâleur
auxquels on pouvait s'attendre de la part d’un garçon qui avait grandi dans ce monde de poupées géantes. Les
vêtements et les soulier s qu'il portait semblèrent à Julián sortir tout droit d 'un roman. Dans son regard
se lisaient la suffisance et l'arrogance, le mépris et une politesse sucrée. Julián lui sourit franchement, devinant
l'incertitude, la crainte et le vide derrière cette carapace pompeuse, empruntée pur la circonstance.
    – Est-ce vrai que tu n'as lu aucun de ces livres ?
    – Les livres sont assommants.
    – Les livres sont des miroirs, et l'on n'y voit que ce qu 'on porte en soi-même, répliqua Julián.
    M. Ricardo Aldaya rit de nouveau.
    – Eh bien, je vous laisse faire connaissance. Julián, tu
verras que Jorge, sous ses dehors d'enfant gâté, n'est aussi bête qu'il le
paraît. Il tient quelque de son père.
    Les paroles d’ Aldaya semblèrent tomber

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