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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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comme des poignards sur le garçon, mais
son sourire ne faiblit pas d'un millimètre. Julián se repentit de sa réplique
et eut de la peine pour lui.
    – Tu dois être le fils du chapelier, dit Jorge, sans malice. Mon
père parle beaucoup de toi, dernièrement.
    – C'est l'effet de la nouveauté. J'espère que tu ne m'en
veux pas. Sous des dehors de monsieur je-sais-tout, je ne suis pas aussi idiot
que je le parais.
    Jorge sourit. Julián trouva qu'il souriait comme les
personnes qui n'ont pas d'amis, avec gratitude.
    – Suis-moi, je vais te montrer le reste de la maison.
    Ils quittèrent la bibliothèque pour se diriger vers la
porte principale et les jardins. En traversant la salle d'où partait
l'escalier, Julián leva les yeux et aperçut le contour d'une silhouette qui
montait, la main sur la rampe. Il eut le sentiment de rêver. La fillette devait
avoir douze ou treize ans et était accompagnée d'une femme d'âge mûr, petite et
rougeaude, qui avait toutes les apparences d'une gouvernante. Elle portait une
robe de satin bleu. Ses cheveux étaient couleur amande, et la peau de ses
épaules et de sa gorge délicate semblait translucide. Elle s'arrêta en haut des
marches et se retourna un instant. Pendant une seconde, leurs regards se
rencontrèrent, et elle lui accorda l'ébauche d'un sourire. Puis la gouvernante
passa les bras autour des épaules de la petite fille et la guida vers le seuil
d 'un couloir où
elles disparurent toutes deux. Julián baissa les yeux et se retrouva avec
Jorge.
    – C’est Penélope, ma sœur. Tu la verras plus tard. Elle est
un peu timbrée. Elle passe ses journées à lire. Allons, viens, je veux que tu
voies la chapelle du souterrain. Les cuisinières disent qu'elle est hantée.
    Julián le suivit docilement, mais son monde vacillait. Pour
la première fois depuis qu'il était monté dans la Mercedes Benz de M. Ricardo
Aldaya, il comprit ce qui lui arrivait. Il avait rêvé
d'elle tant de fois, sur ce même escalier, avec cette même
robe bleue et ce même éclair dans son regard de cendre, sans savoir qui elle
était ni pourquoi elle lui souriait. Dans le jardin, il
se laissa entraîner par Jorge jusqu'aux remises et aux courts de tennis. Alors
seulement il se retourna et la vit, à la fenêtre du deuxième étage. Il
distinguait à peine sa silhouette , mais il sut qu'elle souriait encore et
que, d'une manière, ou d'une autre, elle aussi l'avait
reconnu.
    Cette apparition fugace de Penélope Aldaya accompagna
Julián pendant les premières semaines au collège San Gabriel. Ce monde nouveau
recelait beaucoup d'hypocrisies, et il ne les supportait pas toutes. Les élèves
se comportaient en princes hautains et arrogants, et leurs professeurs en
domestiques dociles et cultivés. Le premier ami que se fit Julián, après Jorge Aldaya, fut
un garçon nommé Fernando Ramos, fils d’un cuisinier du collège, qui ne pouvait
imaginer qu’il finirait un jour en soutane et enseignerait dans les salles de
classe où il avait grandi. Fernando, que les autres appelaient
« Marmiton » et qu'ils traitaient en valet, était
vif et éveillé, mais n'avait pratiquement pas d'amis. Son unique camarade était
un garçon extravagant nommé Miquel Moliner qui devait devenir, avec le temps,
le meilleur ami que Julián eut jamais
dans cette école. Miquel Moliner, qui débordait d'intelligence et
manquait de patience, aimait faire enrager ses maîtres en mettant en doute
leurs affirmations par des jeux dialectiques où il faisait preuve d'autant
d'esprit que d'acharnement vipérin. Les autres craignaient sa langue
effilée et le tenaient pour un spécimen d’espèce différente, ce qui, en un
certain sens, n'était pas tout à fait faux. Malgré ses allures bohèmes et le
ton peu aristocratique qu'il affectait, Miquel était le fils d’un industriel
qui s'était enrichi jusqu’à l’absurde dans le commerce des armes.
    – C'est vrai ce qu'on m'a dit, Carax ? Que ton père
fabrique des chapeaux ? demanda-t-il quand Fernando Ramos les présenta
l'un à l'autre.
    – Julián pour les amis. Et moi on m'a dit que le tien
fabrique des canons.
    – Il les vend seulement. La seule chose qu'il sait
fabriquer, c'est de l'argent. Mes amis, qui se limitent en fait à Nietzsche et,
ici, au camarade Fernando, m'appellent Miquel.
    Miquel Moliner était un garçon triste. Il souffrait d'une
obsession malsaine de la mort et de tout ce qui pouvait comporter une résonance
funèbre, et il y consacrait

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