Londres, 1200
archer, un sottard au
tempérament sanguin, large d’épaules avec un cou de taureau et un mufle
bestial, demeurait toujours près de Ranulphe de Beaujame, tel un molosse
fidèle.
Seul Godefroi, le plus âgé d’entre eux, était un
peu plus avenant. Il parlait le français et le normand quand les autres ne
s’exprimaient que dans leur dialecte. Il était même courtois avec les femmes,
ayant un faible pour la servante de Jehan le Flamand.
Mais malgré leur rudesse, Guilhem appréciait la
tolérance dont ils faisaient preuve à l’égard des cathares. Aucun ne les avait
offensés ou maltraités. Bien au contraire, quand Enguerrand rompait le pain en
autant de morceaux qu’il y avait de convives, prononçant les paroles
rituelles :
— Bénissez-moi, Seigneur.
Ils prenaient leur portion en déclarant comme les
autres cathares :
— Dieu vous bénisse.
Que le Diable ait créé le monde ne choquait pas
les Saxons, en revanche ils n’étaient pas prêts à renoncer aux viandes et ils
firent bonne chère du daim que Ranulphe de Beaujame ramena ce soir-là.
Le reste du souper ne fut qu’une bouillie d’orge
et de seigle que les femmes avaient préparée avec leurs moulins à main, des
boîtes de bois contenant une petite meule de pierre sur laquelle on versait
lentement les graines en faisant tourner la roue. La meule frottait alors une
pierre plate et la farine et le son tombaient au fond.
La nuit venue, chacun s’installa autour du feu.
Les enfants et les servantes avaient coupé de l’herbe à la faucille pour faire
des couches à ceux qui ne transportaient pas leur literie, quelques cathares
ayant emporté leur matelas dans les charrettes.
Guilhem s’apprêtait à s’éloigner avec Sanceline
quand Enguerrand s’adressa à lui.
— Je ne cesse de penser à Albi, lui dit le
Parfait. J’ai une telle hâte de rencontrer notre évêque ! Le seul évêque
de notre religion à qui j’aie parlé était venu en grand secret à Paris. C’est
lui qui m’a donné le consolamentum dans la crypte de la tour du Pet au
Diable. Il avait connu le saint homme Nicétas.
Ce n’était pas la première fois qu’Enguerrand lui
parlait de Nicétas, cet évêque bogomile de Constantinople venu dans le
Lauragais, trente ans plus tôt. Seulement Guilhem ne pouvait rien lui dire sur
lui, car il ne s’était jamais intéressé aux cathares. D’ailleurs il ne s’était
jamais intéressé à Dieu.
— Je me suis remémoré cette nuit que cet
évêque m’avait parlé d’un lieu où s’était rendu Nicétas pour prier, le mont
Salvat, dans le comté de Toulouse. Est-ce loin d’Albi ?
— Je l’ignore, répondit Guilhem après un
instant de réflexion. Je connais seulement les montagnes des Salvatches, près
de Foix. Il y a là-bas un endroit appelé Montségur, un lieu sauvage et
inhabité.
— J’essaierai de m’y rendre, murmura le vieil
homme.
La nuit fut douce et calme et ils repartirent à
l’aube crevant.
Chapitre 3
L e
jour suivant, ils ne firent aucune rencontre de la matinée. Les champs étaient
en friche et la campagne paraissait abandonnée. Ils comprirent pourquoi quand,
vers midi, ils découvrirent le village incendié.
Brandin, ou un de ses capitaines, était passé et
avait chanté la Messe des lances, comme le disaient les routiers en se
moquant de ceux qu’ils massacraient. Les manants et les laboureurs, qui avaient
cru que la palissade entourant leur village serait suffisante et qui n’avaient
pas fui pour se réfugier dans une place forte ou un château, étaient pendus aux
arbres, sans mains ni pieds. Femmes et enfants, éventrés et démembrés,
couvraient le sol. Aucun d’eux n’avait imaginé la sauvagerie des démoniaques
Cottereaux.
Guilhem et ses compagnons rassemblèrent les corps
meurtris et torturés dans une fosse qu’ils recouvrirent de pierres avant de
quitter au plus vite ce lieu maudit.
Deux autres jours s’écoulèrent à l’identique à
travers des paysages désolés et inhabités. Ils aperçurent pourtant plusieurs
fois sur les coteaux des troupes d’hommes en armes. Les cavaliers n’étaient
jamais plus d’une douzaine et si certains s’approchèrent, ils firent demi-tour en
découvrant des voyageurs bien armés.
Une bande fut cependant plus audacieuse et les
chargea en hurlant, épée et hache en main. À trois cents pieds, la première
volée de flèches des Saxons en fit tomber plusieurs. La seconde volée anéantit
le reste. Capables
Weitere Kostenlose Bücher