Londres, 1200
ni marchands ni colporteurs,
mais croisèrent beaucoup de miséreux qui se dirigeaient vers Poitiers.
C’étaient des hommes seuls, souvent meurtris et affamés. Guilhem les
interrogeait, et leurs réponses, quand ils parvenaient à parler, étaient
toujours les mêmes, brèves et désespérées. Leur village avait été brûlé, leur
maison pillée, leur famille assassinée après avoir subi les plus atroces
sévices.
Le soleil étant au zénith, ils firent halte dans
une prairie près d’une rivière pour se reposer, se nourrir et se désaltérer.
L’un des chariots transportait du fourrage, mais il y en avait seulement pour
deux jours, aussi laissèrent-ils les animaux en pâture libre. Leur dîner fut
très simple : du pain pour tous, un peu de jambon et du vin tiré des
tonneaux de Geoffroi. Une boisson qui tournait à la piquette.
C’est ce que remarqua Cédric, l’un des archers
saxons.
— Par saint Dunstan [9] , quel vinaigre !
s’exclama-t-il en vidant son pot. J’échangerai volontiers tous ces maudits
tonneaux pour un bon hanap d’ale anglaise !
— Tu dis ça parce que tu n’es jamais venu au
Lièvre Cornu boire mon vin frais d’Auxerre, l’ami ! Celui-ci a tourné
parce qu’il a été transporté depuis un mois en plein soleil, répliqua Geoffroi.
— Et c’est quoi, le Lièvre Cornu,
compaing ? demanda Gilbert, un autre archer saxon.
— La meilleure taverne de Paris ! assura
Jehan le Flamand.
— En partant, je l’ai laissée à mon
beau-frère, fit Geoffroi dans un soupir inquiet. Pourvu qu’il ne gâche pas ma
réputation !
— Peu t’importe ! laissa tomber Aignan
avec un brin de nostalgie, puisque nous n’y retournerons jamais. J’ai laissé
mon échoppe de parchemins à un jeune clerc et je me moque de ce qu’il en fera.
Guilhem avait fait ranger les voitures côte à côte
le long du cours d’eau. Ce fut une précaution utile. En effet, ils
s’apprêtaient à repartir quand une troupe de cavaliers apparut sur le chemin.
Trois chevaliers en haubert et une poignée d’hommes d’armes en broigne, équipés
de piques, de haches, de maillets de plomb et de marteaux d’armes à la pointe
tranchante.
Sur les écus et sur leur bannière qui flottait au
vent, Guilhem reconnut le blason du seigneur du Breuil. Femmes et enfants
s’abritèrent derrière les charrettes, pendant que les hommes rassemblaient
chevaux et mules, et que Robert de Locksley plaçait ses archers et ses écuyers
sur des branches de chêne.
Celui qui commandait la troupe s’approcha.
— Où allez-vous ? lança-t-il avec
insolence dans un patois limougeaud.
— Et toi, Aymar ? rétorqua Guilhem, le
tenant en joue de son arbalète.
L’autre balaya le campement du regard avant de
découvrir les archers. Il jugea finalement les voyageurs trop nombreux et trop
bien armés aussi ; sans une autre parole, il fit faire demi-tour à sa
monture et rejoignit la troupe qui s’éloigna.
Quand ils furent loin, les hommes poussèrent un
hourra de soulagement.
— Tu le connaissais ? demanda Robert de
Locksley à Guilhem.
— Aymar du Breuil ! Sans doute allait-il
prêter hommage à dame Aliénor. Comme la plupart des seigneurs d’ici, il nous
aurait pillés s’il avait jugé pouvoir le faire sans dommage pour lui et ses
gens.
Ils repartirent et ne firent pas d’autres
mauvaises rencontres jusqu’à la halte du soir, quelques heures avant le coucher
du soleil. Cette fois, Guilhem choisit une butte permettant de surveiller les
alentours et disposant d’une belle pâture pour les animaux. Il y avait aussi un
ruisseau à proximité.
Avant de partir chasser avec ses écuyers, Locksley
commanda à ses archers de monter la garde.
Ces saxons étaient des hommes frustes et violents.
Locksley les avait choisis pour leur adresse à l’arc et leur fidélité, et non
pour leur caractère. Deux d’entre eux, Cédric et Gilbert, ne cherchaient qu’à
paillarder. À Poitiers, ils avaient passé la nuit avec des puterelles et ils
lorgnaient sans cesse les femmes de la troupe auxquelles ils faisaient peur. Gilbert
était petit, roux, avec un bel embonpoint et un gros nez cassé. Cédric avait le
menton en galoche et, s’il était haut de taille, son nez camus et sa tête de
furet avec de grandes incisives jaunes n’inspiraient pas l’affection. C’était
un joueur effréné, et Guilhem avait observé qu’il trichait sans vergogne pour
rapiner ses compagnons.
Henry, le troisième
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