Londres, 1200
d’ânesse. Ensuite on leur porta
des viandes de perdrix, de faisan et de mouton cuites de différentes façons,
puis des perches farcies, le tout arrosé de vin frais de Montmartre et, pour
terminer, des pommes cuites sucrées.
Curieusement, alors qu’ils auraient dû être
soulagés d’avoir réussi la difficile mission confiée par le roi de France, et
ce sans même avoir été meurtris, plusieurs étaient moroses et taciturnes. Mais
peut-être étaient-ils seulement fatigués.
Aux autres tables, les convives étaient encore
plus sombres. Les conversations étaient mornes et certains clients gémissaient
ou même pleuraient. Chacun s’inquiétait de son salut si l’interdit se
poursuivait. En les écoutant, Guilhem avait le sentiment que l’heure du
Jugement dernier était proche.
Il interrogea l’aubergiste qui confirma que les
fêtes et les processions étaient annulées. Pourtant l’interdit avait soulevé le
peuple qui avait parfois forcé les portes des églises. Dans le quartier, les
paroissiens avaient obtenu que Saint-Merry restât ouverte sauf quand les
chanoines y célébraient le culte pour eux seuls, au moment de la messe, à none
et à matines.
Dans la salle, Cédric était le seul à se réjouir,
louant sans cesse le vin du Lièvre Cornu et assurant à tous que Geoffroi avait
bien raison quand il disait que sa taverne était la meilleure de Paris. De
plus, il avait appris qu’à quelques pas de l’auberge, quasiment dans le cloître
des chanoines de Saint-Merry, se trouvait un lupanar avec de jeunes ribaudes
auquel il s’était juré de rendre visite [67] .
Ranulphe ne dit rien de ce qu’il avait fait et
Jehan parla vaguement de ses visites. Guilhem l’interrogea pourtant sur ce
qu’étaient devenues les échoppes des cathares installés à Lamaguère. Furnais
n’écoutait guère, toujours contrarié par le traité signé par le roi de France.
Quant à Anna Maria et Bartolomeo, ils parlaient à voix basse de leur prochaine
séparation.
C’est à la fin du repas que Locksley interrogea
Jehan sur les banquiers de Paris.
— Je veux mettre à l’abri l’argent que je
rapporte de Londres. On m’a dit d’aller sur le pont au Change, fit-il.
Connais-tu un changeur à qui faire confiance ?
Jehan parut embarrassé par la question. Il chercha
son maître du regard, mais celui-ci était occupé à couper ses pommes cuites
avec sa dague.
— Il y a surtout des orfèvres sur le pont au
Change, seigneur, expliqua-t-il. Pour acheter des coupes d’or ou d’argent, des
agrafes, des colliers ou des boucles, c’est bien là qu’il faut aller, mais pas
pour y confier sa fortune. Les changeurs du pont sont des usuriers si durs
qu’ils sont parfois pris à partie par leurs débiteurs. Il arrive alors qu’on
pille leur échoppe et qu’on les jette dans la Seine. Vous pourriez ne plus
revoir votre argent.
— L’un d’eux n’a-t-il pas une bonne
réputation ? intervint Guilhem.
Jehan grimaça.
— Aucun, seigneur, ce sont tous des rapaces
qui devraient passer par le carrefour Guigne Oreille.
La suggestion fit rire Anna Maria et Bartolomeo
qui avaient entendu parler de ce carrefour, entre la place de Grève et
Saint-Jacques de la Boucherie. L’endroit où l’on coupait les oreilles des
voleurs.
— Pourtant les commerçants ont besoin de
banquiers, comment font-ils, puisqu’il n’y a presque plus de juifs à
Paris ?
— Il y a deux ans, le roi a autorisé les
juifs à revenir, seigneur, mais ils sont encore peu nombreux. Par contre, il y
a le Temple qui prête et qui peut conserver en sécurité l’argent qu’on lui
remet.
— Je ne veux pas du Temple ! répliqua
Locksley sèchement. Tu penses vraiment qu’il n’y a aucun honnête banquier dans
cette ville ?
— Certains d’entre nous faisaient appel aux
Lombards, seigneur. Ils viennent d’Italie et seraient, dit-on, d’une grande
probité, car ils sont organisés en compagnie. Ils pratiquent le change, et ils
prêtent sur gages, même parfois au Temple. Ils pourront vous verser un intérêt
correct sur votre argent.
— En connais-tu un vraiment intègre ?
— Le plus riche et le plus respectable est
Gandouffle le Lombard, rue du Temple, seigneur.
— J’irai demain avec mon épouse, décida
Robert de Locksley. Puis nous nous rendrons dans la Cité, car Anna Maria a
besoin de nouveaux vêtements. Tout ce qu’elle avait a été gâché par le voyage.
Ranulphe, tu m’accompagneras avec
Weitere Kostenlose Bücher