Londres, 1200
rentrerait.
En revanche, Amiel de Châteauneuf était là,
répondit-il quand Guilhem l’interrogea. Il logeait dans l’enceinte, dans une
des maisons affectées aux serviteurs proches de frère Guérin, près de
l’enceinte sud.
Prévenu, Amiel vint les chercher. Le chevalier fut
d’abord interloqué de découvrir l’ancien gouverneur d’Angers avec Guilhem
d’Ussel.
— Dieu vous bénisse, mes seigneurs, vous vous
connaissiez donc ? D’où venez-vous ? demanda-t-il, agité.
— De Londres, où l’on s’est rencontrés. Où
peut-on parler ? demanda Guilhem.
— Pas ici, certainement. (Ils étaient dans la
cour.) Venez avec moi.
Mais en chemin, il ne put s’empêcher de
questionner :
— Avez-vous réussi…
— Il est là ! répondit Guilhem dans un
rire joyeux en frappant sa poitrine.
Amiel les fit entrer dans sa maison, un logis
étroit à pans de bois appuyé contre l’enceinte et dont le pignon n’atteignait
pas le chemin de ronde, car il n’avait pas d’étage. Il fit sortir ses deux
domestiques et ferma soigneusement la porte.
— Comment avez-vous fait ? Comment vous
êtes-vous rencontrés ?
— Avant de vous répondre, dites-moi quand le
roi sera là ? s’enquit Guilhem.
— La veille du mariage de son fils, le jour
de l’Ascension du Seigneur, le roi de France et le roi d’Angleterre ont conclu
la paix… dit seulement Amiel.
— Vraiment ? s’inquiéta Furnais. Et
Arthur ?
— J’y viens… Le traité a été signé au Goulet,
près de Gaillon. Ensuite, le mariage célébré, notre roi Philippe est parti avec
ses fidèles, dont frère Guérin, visiter plusieurs barons normands pour leur
dire ce qu’il avait obtenu et surtout leur demander de le soutenir dans le
conflit avec le Saint-Siège.
— En chemin, nous avons vu les églises
fermées, et les cloches ne sonnent plus, remarqua Guilhem.
— C’est grande misère. Tant que le roi ne se
sera pas séparé d’Agnès et n’aura pas repris Ingeburge comme épouse,
Innocent III a interdit les sacrements
dans le royaume, même le baptême des nourrissons et la pénitence pour les
mourants. On ne célèbre plus aucun office depuis la Nativité et la plupart des
églises sont fermées. Dans celles dont le peuple a exigé qu’elles restent
ouvertes, le Christ des autels est couvert d’une bure noire et on a descendu
dans les caveaux les corps saints et les images du Seigneur, de ses apôtres et
de la Vierge. Il n’y a plus rien devant quoi on peut s’agenouiller le dimanche
et les jours de fête. C’est terrible !
— Le roi ne fait rien ? demanda Guilhem.
— Il a bien sûr été pris d’une fureur extrême
et a menacé les évêques et les clercs qui obéiraient aux volontés de Rome.
Finalement seuls six évêques ont obéi à Innocent III , mais, parmi eux, il y avait celui de Paris qui a voulu
appliquer l’interdit avec zèle, alors même qu’il était parent de notre roi.
Philippe l’a donc convoqué pour le prévenir. Voici ce qu’il lui a dit :
« Par la joyeuse de saint Charles le Grand, évêque, n’excitez pas ma
colère. Vous et vos prélats ne faites attention à rien, pourvu que vous mangiez
vos gros revenus et buviez le vin de votre clos, vous ne vous inquiétez pas de
ce que devient le pauvre peuple ! Prenez garde que je ne frappe à votre
mangeoire, et que je ne saisisse tous vos biens ! »
Guilhem hocha la tête, approuvant la fermeté
royale.
— Mais comme Eudes de Sully [66] le suppliait d’obéir aux
volontés du Saint-Père, le roi lui a rétorqué qu’il aimerait mieux perdre la
moitié de ses domaines que de se séparer d’Agnès. Il a finalement bouté hors de
leur siège tous les prélats du royaume qui avaient consenti à l’interdit et
saisi leurs biens et leurs fiefs.
— Même ceux d’Eudes ?
— Même les siens ! L’évêque a été chassé
de Notre-Dame, privé de ses biens, de ses meubles et de ses équipages et il a dû
s’enfuir à pied comme un gueux. Mais pour mieux appliquer ces mesures
rigoureuses, le roi a besoin de ses vassaux, car la révolte gronde dans le
peuple et même parmi quelques barons. Certains d’entre eux ne veulent plus le
servir, le jugeant relaps et rebelle aux lois de l’Église.
« Voilà pourquoi il n’est pas encore revenu.
Bien sûr, s’il avait eu le testament avant l’Ascension, il n’aurait sans doute
pas signé ce traité tel quel et il aurait exigé de meilleurs avantages.
— J’en
Weitere Kostenlose Bücher