Londres, 1200
faire les jongleurs devant eux.
— Je te l’accorde, mais après ? La Tour
n’a rien à voir avec la maison du Temple. Il y a des quantités de corps de
logis à l’intérieur de l’enceinte. Comment trouveras-tu ce testament ?
— Tu l’as dit toi-même, Robert, c’est
impossible ! Cela veut dire qu’on peut le faire ! plaisanta Guilhem
avec insouciance.
Sa saillie amena un sourire sur le visage de son
ami.
— Tu as raison, et je ne te dis ça que parce
que je t’envie ! fit le Saxon en lui tapant sur l’épaule.
— Connais-tu Guillaume de La Braye ?
— Je ne l’ai jamais rencontré.
— S’il est dans la Tour, je n’aurai qu’à le
suivre dans son logis et, le couteau sous la gorge, il me remettra le
testament ! suggéra Guilhem en mimant son action.
Robert de Locksley sourit à nouveau. Voilà le
genre d’entreprise audacieuse qu’il aimait, mais qui n’avait aucune chance
d’aboutir !
— Il a ses gens, ses serviteurs, crois-tu
qu’on te laissera faire ? objecta-t-il. La Tour renferme deux ou trois
cents hommes d’armes, au moins.
— J’aviserai ! répliqua Guilhem. Il y a
toujours une solution, tu le sais comme moi !
Robert de Locksley ne répondit rien, songeant que
son ami changerait d’avis quand il découvrirait la forteresse.
Le temps passait lentement. Quand Locksley restait
avec sa femme, Guilhem, accoudé au bastingage, observait les rives qui
défilaient. Au bout d’un moment, l’ennui l’envahissait et l’étouffait. Lui qui
avait choisi la rivière pour éviter les Brabançons de Mercadier en venait à
souhaiter une attaque de leur part.
Parfois, il suivait du regard les écuyers de
Locksley. Chacun à un bout de la barque, les deux cousins s’ignoraient
superbement. Mais quand Regun rejoignait Mathilde, Guilhem avait remarqué que
Ranulphe les observait. À ces moments-là, il n’y avait aucune haine sur son
rude visage, seulement une profonde détresse. Il n’en était jamais de même chez
Regun qui ne voulait plus avoir affaire à Ranulphe et le lui montrait par une
malveillante indifférence.
Ces comportements inquiétaient Guilhem. Dans une
expédition aussi risquée que celle qu’il conduisait, il n’y avait pas de place
pour les ressentiments.
À Marmande, ils durent patienter deux jours, car
des routiers s’étaient attaqués à l’abbaye du Rivet, un peu plus bas sur la
Garonne, et les gens de Mercadier étaient maintenant pourchassés par le
sénéchal de Gascogne. Les marchands qui arrivaient de Bordeaux assuraient que
la rivière n’était pas sûre et que plusieurs barques avaient été attaquées.
Ils annoncèrent aussi aux voyageurs qu’Aliénor et
sa petite-fille Blanche étaient arrivées depuis quelques jours à Bordeaux,
ainsi que la troupe d’escorte envoyée par le roi Jean pour conduire la future
reine de France à Rouen.
Chapitre 16
E n
approchant de Bordeaux, ils ne virent d’abord que des vignes sur coteaux, le
long de la Garonne. Le vin était la principale richesse de la ville et le
patron du bateau expliqua que les paysans le cultivaient sans contrainte.
— Les Normands sont des amateurs de vin,
contrairement aux Saxons qui préfèrent l’ale, plaisanta-t-il, car Locksley lui
avait dit que lui et ses hommes étaient saxons. C’est avec l’arrivée des
Normands en Angleterre que nous avons commencé à vendre notre vin là-bas, mais
depuis que le Plantagenêt a épousé notre duchesse presque tout le claret d’ici
est transporté à Londres.
Après une dernière nuit dans une auberge
fortifiée, la gabare arriva en vue des murailles de Bordeaux en fin de matinée.
C’était le dimanche de Pâques [39] .
Comme la ville devait déborder de monde avec la
cour d’Aliénor, les Castillans qui accompagnaient Blanche et les gens du roi
Jean, Locksley, le seul à connaître le port, demanda au marinier qu’il les
laisse à l’embouchure du Peugue, une rivière qui se jetait dans la Garonne
après avoir longé l’enceinte. C’est de là que partaient les nefs pour
l’Angleterre et il connaissait le Chapeau Rouge, une des nombreuses auberges se
trouvant sur cette rive.
Le patron acquiesça d’autant plus facilement que
la marée descendait et qu’il devait débarquer ses ballots à proximité.
De la gabare, la cité qui s’offrait au regard des
voyageurs était toujours l’antique Burdigala romaine dont subsistait une partie
des remparts du castrum. De cette muraille dépassaient
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