Londres, 1200
homme lige.
Il resta silencieux, désemparé, comprenant qu’il
ne pourrait être fidèle à deux maîtres.
— Rendez-moi hommage et soyez mon
homme ! ordonna-t-elle.
Elle lui tendit ses mains et il y plaça les
siennes.
— Ma duchesse, je deviens votre homme et vous
donne ma foi, balbutia-t-il, tandis qu’elle serrait ses poignets.
— Si vous découvrez que Guilhem d’Ussel agit
contre moi, contre mon fils, vous l’empêcherez de nous nuire, fit-elle. Si vous
découvrez qu’il protège Arthur de Bretagne, ou que le roi de France l’incite à
me nuire, vous agirez dans mon intérêt.
— Je le ferai, ma dame, murmura-t-il, vaincu.
Elle le relâcha et ferma les yeux. Il comprit
qu’il devait se retirer. Il se releva et sortit à reculons.
Mais à peine était-il parti qu’Aliénor se redressa
et appela le clerc qui attendait à l’écart.
— Frère Guillaume, lui dit-elle, trouvez-moi
Étienne de Dinant.
Dinant arriva peu après. Entre-temps, la mère du
roi Jean avait longuement réfléchi et pris sa décision.
— Dinant, commença-t-elle après qu’il se fut
agenouillé, je connais votre inébranlable fidélité à mon fils.
— Je crois être loyal envers lui, madame,
répondit prudemment le chevalier.
Jusqu’à présent, il avait évité les tête-à-tête
avec Aliénor, craignant qu’elle n’ait appris, ou deviné, qu’il avait été
l’instigateur de la mort de son fils Richard, aussi s’inquiétait-il des raisons
de sa convocation.
— Il y aura ce soir au banquet un homme qui
pourrait nuire à mon fils, dit-elle.
— Montrez-le-moi, madame, et je le défierai.
— Non, il vous battrait, car j’ai appris
qu’il était un redoutable combattant. De plus, la trêve interdit toute
querelle. Mais je connais votre réputation, vous êtes adroit…
Elle croisa son regard et Dinant frémit devant la
flamme de haine qui brûlait dans ses yeux.
— Cet homme se nomme Guilhem d’Ussel…
Dinant parvint facilement à se maîtriser, car
après avoir découvert que Robert de Locksley avait été reçu par la duchesse, il
s’était interrogé sur la possible présence d’Ussel à Bordeaux puisque tous deux
avaient quitté Paris ensemble.
— Il est arrivé aujourd’hui, avec un
chevalier que je croyais fidèle, Robert de Locksley, comte de Huntington, qui
malheureusement s’oppose toujours à mon fils et dont je soupçonne maintenant la
déloyauté.
Dinant hocha la tête.
— Ce Guilhem est au service du roi de France,
j’en suis convaincu. Il a prévu de s’embarquer ici, pour Londres…
— Londres, madame ? Mais qu’irait-il y
faire ?
— Je l’ignore, mais il s’agit forcément de
quelque félonie dont Philippe de France a le secret. Je ne veux pas qu’Ussel
quitte la ville.
De nouveau son regard croisa le sien et il baissa
les yeux avant de demander à voix basse :
— Vous venez de me dire qu’il est avec le
comte de Huntington, madame…
— Pas seulement. Huntington est avec son
épouse et ses deux écuyers. L’un se nomme Ranulphe de Beaujame, je veux qu’il
ne lui arrive rien. L’autre s’appelle Regun Eldorman. Il est avec une femme
qu’il veut épouser en Angleterre. C’est ce que m’a dit Locksley, mais je ne
suis pas sûre que ce soit la vérité. Ils doivent avoir des hommes d’armes,
j’ignore combien.
— Vous pourriez les faire arrêter…
— Je pourrais, mais ils ne se laisseraient
pas faire et je ne veux pas ternir les fêtes de Pâques.
Dinant faillit proposer le nom de Mercadier, qui
avait les moyens de vaincre Robert de Locksley avec ses Brabançons, mais il se
retint, car une séduisante idée lui était venue.
Aliénor s’était abîmée dans le silence et avait
fermé les yeux. Au bout d’un instant, Dinant comprit que la duchesse
d’Aquitaine n’en dirait pas plus. Elle fit d’ailleurs un geste de la main pour
qu’il se relève.
Il le fit, s’inclina et sortit.
Par un étroit passage surplombant la galerie entre
le châtelet et la grande salle, l’étage du logis occupé par Aliénor
communiquait avec le grand donjon carré où Dinant avait une chambre. En s’y
rendant, il peaufina son plan. Un plan qui lui permettrait de satisfaire à la
fois Aliénor et son fils. Il avait hâte de savoir si Mauluc avait enfin réussi
à obtenir cette dague qu’il recherchait depuis des jours et des jours.
Peter Mauluc était l’un de ses écuyers. C’était un
jeune homme courtaud et trapu qui,
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