Londres, 1200
il se rend au mariage de votre petite-fille où Philippe de France l’a
invité. Il voyagera dans la nef avec moi et se fera déposer dans un port
breton.
— C’est lui qui conduisait des hérétiques à
Toulouse quand vous êtes venus à Poitiers… fit-elle.
— Des cathares, ma noble dame. Mais ce sont
de bons chrétiens qui vénèrent notre Seigneur Jésus.
— Sa Sainteté les a déclarés hérétiques, et
le Saint-Père ne se trompe jamais. Votre ami a protégé la pestilentielle
contagion de l’hérésie, et Philippe de France avec lui, gronda-t-elle.
— Je ne suis pas capable d’en juger, noble
duchesse, mais Guilhem a laissé les cathares à Albi, ainsi que la femme qu’il
aimait.
— Qu’il vous accompagne donc, mais il y aura
pléthore de monde et, s’il est là, vous ne pourrez venir avec vos écuyers, car
il n’y aura pas assez de place.
Robert de Locksley s’inclina et Anna Maria
s’agenouilla, embrassant une main de la vieille femme.
— Que Dieu vous garde, Robert, dit-elle.
— Que le seigneur vous protège, ma duchesse,
dit-il.
— Un dernier mot, comte, ajouta-t-elle.
Mercadier est à Bordeaux, mais il y a une trêve pour Pâques. Si vous le
rencontrez, je ne veux pas de dispute en cette fin d’année.
— Il n’y en aura pas, ma duchesse.
Elle se contraignit à sourire.
— Envoyez-moi Ranulphe, vous avez de la
chance d’avoir un écuyer si fidèle, comte. Je l’ai beaucoup aimé et j’aimerais
qu’il me salue.
Ils partirent, raccompagnés par Gautier resté à la
porte. En bas de l’escalier, Locksley expliqua à Ranulphe que la duchesse
l’attendait et lui demanda de rentrer ensuite au Chapeau Rouge.
— Approchez-vous, Ranulphe, ordonna Aliénor,
tandis que l’écuyer restait devant la tenture de la porte, intimidé.
Il avança lentement vers le lit et s’agenouilla,
puis comme elle lui tendait ses mains, il plaça les siennes dans celles tachées
et ridées de la vieille femme.
— Êtes-vous heureux de rentrer en Angleterre,
Ranulphe ?
— Oui, madame, mais je ne sais pas si nous y
resterons.
— Vous avez encore de la famille à
Huntington, m’avez-vous dit, une sœur. Je suppose que vous la reverrez avec
plaisir.
— Certainement, vénérée duchesse, mais c’est
plutôt mon cousin Regun qui la verra, dit-il après une brève hésitation, car en
Angleterre je resterai avec mon seigneur.
— Le comte de Huntington vous a déjà parlé de
son voyage à Londres ? s’étonna-t-elle.
Ranulphe était embarrassé, il avait juré de ne
rien dire, mais Aliénor était tout de même la mère du roi. Il devait lui faire
confiance.
— Oui, ma duchesse, tout à l’heure, à
l’auberge.
Aliénor resta figée. Elle venait seulement
d’apprendre à Robert de Locksley qu’il pouvait aller chercher son argent.
Locksley lui avait assuré se rendre à Huntington pour des noces – et non à
Londres… Il lui avait menti.
En soixante ans, Aliénor avait tout appris des
trahisons, des mensonges et des intrigues. Elle devina immédiatement que le
comte ne lui avait pas révélé les véritables raisons de son voyage. De plus,
elle restait intriguée par la présence de ce Guilhem d’Ussel.
Intuitivement, elle devina que sa présence était
importante.
— Cet Ussel va-t-il aussi à Londres ?
demanda-t-elle d’une voix égale.
Elle tenait toujours ses mains et il ne put
mentir.
— Oui, noble duchesse.
— Que va-t-il y faire ? N’est-il pas au
comte de Toulouse ? plaisanta-t-elle.
— Je l’ignore, noble duchesse, mais il a reçu
un émissaire du roi de France, il y a quelques jours.
— Protège-t-il toujours des hérétiques ?
s’enquit-elle.
— Il y a des cathares chez lui, madame. Il
leur a confié son fief.
Elle se dégagea et se signa. Robert lui avait
menti deux fois ! Lui et ce Ussel protégeaient l’infâme hérésie. Que le
Seigneur lui vienne en aide ! Dans quelle aventure infernale le comte de
Huntington s’engageait-il ? Était-ce le roi de France qui envoyait Guilhem
à Londres ?
Que devait-elle faire ?
Le silence s’éternisa. Mal à l’aise, Ranulphe
était conscient d’avoir trop parlé, mais pouvait-il agir autrement ?
— Ranulphe, quand je quitterai Bordeaux, je
retournerai à Fontevrault. Soyez-moi fidèle et venez me rejoindre dès que vous
le pourrez. Vous deviendrez mon chevalier, je vous équiperai et vous donnerai
un fief. Mais, en attendant, je veux que vous soyez mon
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