Londres, 1200
qu’une enfant d’une douzaine d’années, mais elle était
certainement la plus belle dame que l’on pût voir dans la salle. Sa grand-mère
Aliénor, bien qu’épuisée par le voyage, rayonnait de fierté à côté d’elle,
comme l’aurait fait une mère.
Après la bénédiction, la duchesse murmura quelques
mots aimables, mais d’une voix si faible qu’elle se perdit dans un murmure que
personne n’entendit. Tous les convives s’étant assis, les pages et les
servantes servaient le premier bouillon sur les tranches de pain de froment
quand retentit un grand fracas. Trois hommes entrèrent dans la salle en
bousculant le chambellan. L’un d’eux, le chef visiblement, était petit, brun de
peau et trapu. Revêtu d’une robe écarlate brodée d’un dragon argenté, il
portait une lourde épée et une dague à la taille. Avec son visage entièrement
couvert d’une barbe noire, il avait tout de Belzébuth.
C’était le routier Mercadier.
Avisant les places les plus proches, il en écarta
les convives sans ménagement et s’installa à son aise après avoir balayé la
table d’honneur d’un regard féroce et salué ironiquement Aliénor et Hélie.
La duchesse resta imperturbable devant l’insultant
sans-gêne du mercenaire. Celui-ci, ayant pris d’autorité une assiette à son
voisin, commença à déchirer son tranchoir avec les doigts et à le porter à sa
bouche, tandis que ses compagnons, deux rustres aux visages balafrés et barbus,
faisaient de même.
Robert de Locksley ne le quittait pas des yeux.
L’ancien capitaine de Richard Cœur de Lion dut s’en rendre compte, car il leva
la tête et balaya la pièce d’un regard interrogateur.
Ses yeux croisèrent alors ceux de Locksley et il
se figea, incrédule. Puis il découvrit Guilhem et parut déconcerté. Il se
produisit alors une étrange chose. La haine affichée sur son visage disparut
pour être remplacée par un sourire malveillant, laissant apparaître des canines
jaunies.
Inclinant la tête, Guilhem salua celui qui l’avait
adoubé chevalier. Pour ne pas être en reste, Mercadier fit de même.
Mais déjà Locksley ignorait l’ancien capitaine du
roi d’Angleterre et cherchait le regard d’Aliénor. Celle-ci utilisait une
cuillère pour son potage, échangeant parfois un mot ou deux avec Blanche.
Finalement, elle leva les yeux et posa son regard sur lui. Il n’y vit que de la
froideur.
— Qui est ce rustre qui vient d’entrer ?
lui demanda alors Anna Maria.
— Le seigneur Mercadier. Bien que sénéchal du
Périgord, je pensais qu’il n’était pas invité, après tous les ravages qu’il
commet en Gascogne.
Tandis qu’on servait les entremets : des
plats de froment colorés au jaune d’œuf et couverts d’une purée de pois, Anna
Maria considéra avec attention le mercenaire qui vidait goulûment une grande
coupe de vin, en souillant sa robe.
— Il ne l’était peut-être pas,
remarqua-t-elle. Cet homme semble avoir toutes les audaces.
— Avec ses quelques milliers de Brabançons,
il peut se le permettre, fit son mari, observant que la plupart des chevaliers
et des prélats évitaient le regard de l’ancien capitaine de Richard Cœur de
Lion.
— Il n’y aurait donc personne pour s’opposer
à lui ?
— Ils ont trop peur ! Cet homme est un
démon sans pitié qui ne craint ni Dieu ni Diable. Je suppose que Ranulphe t’a
raconté ce qu’il avait fait aux habitants et à la garnison de Châlus, pendant
le siège et après la mort de Richard.
Elle hocha tristement la tête. Mercadier avait
pendu les habitants, coupé les mains et les pieds des défenseurs et écorché vif
celui qui avait tiré sur le roi d’Angleterre.
Les pages et les servantes apportaient maintenant
des cygnes, des faisans et des hérons sur de grands plats, mais ce n’était en
vérité que des apparences de volatiles avec becs recouverts d’or, plumage
multicolore et pattes, car le contenu n’était que viande rôtie et farce.
Certains de ces oiseaux qui paraissaient prêts à prendre leur envol suscitèrent
des exclamations d’admiration de l’assistance.
La table d’honneur fut servie en premier, et ceux
qui s’y trouvaient reçurent les meilleures portions. Les autres tables
n’avaient que les restes et les convives se trouvant aux extrémités les plus
éloignées, en général des clercs et des chapelains, devaient se contenter de
peu de chose. Cette distribution déplut à Mercadier, et comme on apportait
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