Londres, 1200
malgré un visage à l’expression
perpétuellement obtuse, était d’une rare habileté. Ce qui ne gâchait rien,
c’étaient la vigueur et la force physiques dont il faisait preuve, le garçon
étant d’une rare endurance une hache et un écu à la main.
— Mauluc ! Enfin te voilà ! fit-il
à l’écuyer qui dissimulait un objet sous la courtepointe. L’as-tu ?
— Arnald le Gascon vient de me la remettre à
l’instant, seigneur, répondit l’autre.
Il alla fermer soigneusement la porte qui donnait
sur l’escalier, puis revint au lit, tira la courtepointe et tendit une dague à
son maître.
— Arnald le Gascon l’a volée ce matin. Il
faut agir vite, maintenant, car Mercadier ne va pas tarder à s’en apercevoir.
Dinant saisit la lame. Son manche était finement
ciselé avec un pommeau en forme de tête de dragon.
Chapitre 18
L a
crainte des pillages de Mercadier avait maintenant gagné la population de
Bordeaux, et particulièrement les négociants.
Pendant des mois, le chef des Brabançons ne
s’était attaqué qu’aux châteaux, fermes fortifiées et monastères de Gascogne
dont les maîtres et seigneurs penchaient pour le roi de France. Les ayant tous
ravagés, il maraudait désormais dans les campagnes proches de Bordeaux, s’en
prenant aux fermes et aux riches vignobles, tuant, torturant et pillant sans
préférence de parti. Il commençait même à fondre sur les gabares. Le commerce
du vin était menacé et la prospérité de la ville était en danger.
Comme la moitié de sa picorée revenait à
l’archevêque Hélie de Malemort et à sa famille, non seulement celui-ci ne le
condamnait pas, mais il le défendait. Quant au sénéchal de Gascogne, il n’avait
pas les moyens de s’opposer aux hordes sauvages de celui qu’Innocent III avait appelé l’ennemi du genre humain. Tout
au plus poursuivait-il parfois une bande trop hardie.
Arrivée à Bordeaux, Aliénor avait appris du
sénéchal les effroyables désordres du fidèle lieutenant de son fils Richard.
Elle n’avait pourtant pas réagi, et ce pour deux raisons : d’abord, elle
ne disposait pas de gens d’armes capables de s’en prendre aux Brabançons,
ensuite elle ne pouvait oublier ce que Mercadier avait fait pour elle. Aussi
avait-elle décidé d’entendre le mercenaire une fois passé les fêtes de Pâques.
S’il ne faisait pas amende honorable, alors elle lèverait l’ost de la
chevalerie du pays pour lui courir sus et le chasser de Guyenne.
Tout cela, Étienne de Dinant le savait, mais ça ne
le satisfaisait pas. Il devinait que Mercadier obéirait à la duchesse pour
pouvoir rester en Aquitaine, mais qu’une fois Aliénor partie, il continuerait à
mettre le pays en coupe réglée, et peut-être en deviendrait-il le maître, comme
le craignait Jean.
Dinant avait donc décidé de forcer la main
d’Aliénor en la contraignant à lever le ban contre le chef mercenaire.
En se rendant à Bordeaux, il avait rencontré le
capitaine Brandin, lequel lui avait donné le nom d’un de ses hommes qui l’avait
quitté pour entrer au service de Mercadier. Ce félon se nommait Arnald le
Gascon et, selon Brandin, il était prêt à tout pour de l’argent.
Peter Mauluc avait donc approché Arnald qui, pour
dix sous d’or, s’était engagé à subtiliser une des dagues de son maître.
Le dessein de Dinant était simple. Le sénéchal de
Gascogne, juge des appels dans le duché, habitait dans le château avec sa
femme. Mauluc avait surveillé les déplacements de l’épouse qui, chaque
après-midi, se rendait dans la grande salle avec sa servante en empruntant un
des sombres passages du château. Dès qu’il aurait la dague de son seigneur,
l’écuyer attendrait les deux femmes, caché dans un recoin. Il les tuerait et
abandonnerait le couteau sur place.
Le sénéchal reconnaîtrait immanquablement le
manche de la lame. Accusé de l’effroyable crime, Mercadier ne pourrait échapper
à son châtiment.
Il avait fallu plus d’une semaine à Arnald pour
parvenir à voler un des couteaux de Mercadier, et, ce dimanche après-midi, il
venait enfin de remettre à Mauluc la précieuse dague.
— Je pourrai le faire demain après-midi, seigneur,
proposa l’écuyer qui voulait agir au plus vite, car il savait qu’après cette
entreprise, son avenir serait assuré auprès du roi Jean.
Dinant secoua la tête en gardant un fin sourire
rêveur.
— J’ai changé mes plans, Peter. Ce soir, lors
du banquet,
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