Londres, 1200
avant de partir à Paris pour aider son ami. C’était un fief longtemps
disputé entre le comte Bernard d’Armagnac et son beau-frère, l’archevêque
d’Auch. Armagnac possédait la terre en nue-propriété et l’archevêque en avait
le domaine utile, c’est-à-dire l’usufruit, mais il assurait avoir acheté le
château. La querelle avait pris des proportions telles que le comte d’Armagnac
avait incendié la petite forteresse après que l’archevêque y eut installé des
gens à lui. Le conflit avait duré des années jusqu’à ce que les protagonistes
soient prêts à une conciliation.
Raymond de Saint-Gilles avait alors proposé de
laisser le château en apanage à l’un de ses chevaliers, ce qui lui permettrait
de disposer d’un poste avancé pour protéger son comté du côté de l’Aquitaine,
car Lamaguère était à douze lieues de sa capitale. Mais Armagnac avait exigé
mille sous d’or et l’archevêque un bénéfice de dix marcs d’argent chaque année.
Il avait fallu des années à Raymond de Toulouse pour trouver quelqu’un
acceptant ces conditions. Entretemps, les deux beaux-frères étaient morts et
tant le fils du comte d’Armagnac que le nouvel archevêque ne s’intéressaient
plus à cette vieille querelle. Ussel possédant les mille sous d’or, c’est
finalement lui qui était devenu seigneur de ce fief.
— Rassure-toi, Guilhem, vivre là-bas ne
m’inquiète pas. Je suis né dans une cabane à Sherwood et j’ai longtemps vécu
comme un fugitif, n’ayant habité mon domaine de Huntington que durant peu
d’années. Là où sera Anna Maria, je serai heureux. Elle est si contente de
passer quelque temps avec son frère. Nous resterons à Lamaguère jusqu’au
printemps, ensuite j’aviserai. Cet après-midi, je rencontrerai l’abbé du Pin [8] avec un notaire de la
duchesse qui préparera un acte mandatant l’évêque de Hereford afin qu’il vende
une partie de mes biens. L’abbé est homme de confiance et je sais qu’il me fera
parvenir mon argent. Quand je l’aurai reçu, je déciderai de rentrer en
Angleterre, si Jean me laisse tranquille, ou de m’installer près de Paris comme
le roi Philippe me l’a proposé.
Guilhem hocha la tête, satisfait de voyager avec
son ami et son escorte.
— Es-tu d’accord pour partir demain ?
demanda-t-il.
— Oui, si nous sommes prêts. Aliénor m’a
remis un sauf-conduit.
— Les chariots regorgent de provisions et de
fourrage, Bartolomeo est allé acheter des mules et Regun nous apportera
quelques armes de plus. Prions le Seigneur pour que ce soit suffisant, car nous
ne sommes pas nombreux.
— Avec mes archers et mes écuyers, nous
pouvons tenir tête à une troupe autrement plus considérable que la nôtre, mon
ami, le rassura Locksley en le prenant par l’épaule. Ne t’inquiète pas !
Le convoi quitta Poitiers le lendemain, veille de
la Nativité de Saint Jean Baptiste.
Guilhem chevauchait en tête avec Ranulphe de
Beaujame et Bartolomeo. Robert de Locksley restait en arrière-garde avec Regun
Eldorman, son second écuyer, et Jehan le Flamand qui possédait désormais un
arc.
Au milieu, les quatre archers escortaient les
charrettes et le gros chariot. Tous étaient à cheval, sauf Jehan. Locksley
avait aussi deux chevaux de bât, de solides roussins transportant ses bagages
et ceux d’Anna Maria dans de gros coffres.
Les cathares, hommes et femmes, avançaient à pied,
sauf Geoffroi le tavernier qui conduisait son chariot sur lequel se reposaient
les plus jeunes enfants. Comme Jehan le Flamand, Thomas le cordonnier,
Estienne – le gendre de Bertaut – et Geoffroi portaient cuirasse ou
broigne, chapel et pique. Sur les chariots, les rondaches étaient à portée de
main. Au milieu du convoi, les femmes papotaient. Il faisait beau, mais la
chaleur allait bientôt les fatiguer, et la route serait longue.
Ils avaient parcouru les quatre-vingt-dix lieues
entre Paris et Poitiers en trois semaines, mais la nourriture et le fourrage
abondaient dans les fermes qu’ils rencontraient. De surcroît, les chemins
étaient autrement plus larges que celui qu’ils empruntaient maintenant. Le
lourd chariot aux grosses roues de bois qui transportait tout ce que Geoffroi
avait pu emporter de sa taverne avançait lentement, tout comme les charrettes
tirées par des mulets et des bardots. À la moindre côte, et il y en avait
souvent, chacun devait aider les bêtes en tirant ou en poussant.
Ils ne rencontrèrent
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