L'or de Poséidon
confins de l’Empire. Ils proposèrent alors de m’engager pour une mission particulière. (Ils n’avaient pas d’argent, naturellement, mais nous étions devenus amis, et j’avais eu la malencontreuse idée de leur préciser que la moitié de mes clients « oubliaient » de me payer.)
— Quel genre de mission ?
— Une opération de recouvrement, dit l’un d’eux.
Là-dessus, ils se lancèrent, en parlant tous plus ou moins en même temps, dans une interminable explication au sujet d’un objet sacré.
— Écoutez, les interrompis-je, si votre quête a un rapport avec les trésors que le conquérant Titus a pris dans votre temple à Jérusalem pour les installer au Capitole, je vous arrête tout de suite ! Voler quoi que ce soit sur l’autel le plus sacré de Rome n’entre pas dans ma sphère d’activité.
Ils échangèrent des regards furtifs. J’étais apparemment tombé sur un mystère bien plus important. Ce qu’ils avaient perdu était une grande boîte très ancienne en forme de vaisseau, surmontée par deux personnages ailés, et fixée à deux perches pour la transporter. Ces Juifs voulaient la retrouver, parce qu’elle possédait soi-disant des propriétés magiques capables de les aider à vaincre leurs ennemis. Chassant l’idée que je ne tenais pas à voir mes concitoyens romains frappés par l’éclair ou être les victimes de maladies incurables (enfin pas beaucoup d’entre eux), j’étais très tenté d’accepter. J’adore les histoires ridicules. Mais expliquer à Helena Justina pourquoi j’avais accepté une mission aussi absurde était au-dessus de mes forces.
J’ajoutai donc en grimaçant un sourire :
— Il vous faut un vrai casse-cou pour ce genre de travail ! Moi je m’occupe de divorces, ce qui me pose déjà pas mal de problèmes. Non, je ne crois pas pouvoir me lancer à la recherche d’arches perdues…
Je leur payai leurs renseignements sur Festus en espèces sonnantes et trébuchantes, et nous nous quittâmes bons amis.
Alors que je m’éloignai déjà à travers le bivouac, le soldat inconnu me cria encore :
— Il a été héroïque. Tout son cœur était dans la bataille. Que ta mère sache que ton frère était un vrai guerrier !
Je n’en crus pas un mot, mais j’étais prêt à rapporter son mensonge.
69
Je ne peux pas dire que je me sentais heureux, mais mon humeur s’était suffisamment améliorée pour que je décide de m’offrir un petit plaisir. Partant à pied du Forum, je remontai la via Flaminia jusqu’à la maison des collectionneurs. Une fois arrivé là, je me joignis à la foule qui se bousculait dans leur musée privé pour admirer la statue de Phidias.
Des gens élégants restaient plantés un peu partout, avec cet air de frayeur constipée qu’ils adoptent généralement quand ils visitent une exposition sans avoir le catalogue adéquat à la main. Les femmes avaient chaussé des sandales d’or qui leur faisaient mal aux pieds. Les hommes se demandaient quand ils pourraient partir sans avoir l’air mal élevé. De très petits morceaux de gâteaux aux amandes, disposés sur des plateaux d’argent, récompensaient ceux qui étaient venus s’extasier sur commande. Comme toujours dans ce genre d’événement, on avait servi du vin un peu plus tôt, mais naturellement le serveur et son amphore avaient disparu juste avant mon arrivée.
Poséidon était superbe. Parmi les autres dieux de marbre, il tenait magnifiquement sa place. Malgré moi, j’éprouvai une bouffée de fierté. Je me sentis même encore mieux en voyant Carus s’approcher d’un pas léger, traînant Servia accrochée à son bras.
— Impressionnant. (Je me mis une amande dans la bouche.) Quelle provenance ?
Ils me résumèrent l’histoire du frère de l’illustre sénateur qui importait d’Orient. Je les écoutai d’un air songeur.
— Un frère de Camillus ? Pas celui qui s’était fait une si mauvaise réputation, j’espère. Il y en avait un qui était marchand, c’est exact, mais il n’était pas très regardant sur ses marchandises. D’ailleurs, il est mort dans des circonstances mystérieuses. Si mystérieuses qu’on n’a jamais retrouvé son cadavre. (Je regardai de nouveau la statue d’un air profondément dubitatif.) Oh, ajoutai-je, je suis sûr que des gens comme vous savent ce qu’ils font.
Et, plutôt content, je me dépêchai de gagner la sortie sans ajouter un seul mot. Je savais que derrière moi,
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