L'or de Poséidon
plateaux en bois maculés de la caupona avec un pichet de vin et une coupe renversés. Le vin rouge s’était mélangé au sang.
Comme il se doit, Censorinus avait nettement disposé son paquetage militaire au pied du lit. Pour l’atteindre, il fallait frôler son cadavre en si piteux état. J’étais sûr que Petro et ses hommes avaient fouillé ce paquetage, mais avec ce qui me pendait au nez, je ne pouvais me permettre de laisser échapper aucune chance de découvrir un indice.
En passant, je trébuchai sur les bottes de Censorinus mal rangées sous le lit. Je parvins à conserver assez d’équilibre pour ne pas m’étaler sur lui.
S’il avait enlevé ses bottes, c’est qu’il avait été tué après s’être couché… et avant l’heure à laquelle il avait l’intention de se lever. Possible que quelqu’un soit venu lui tenir compagnie sous la couverture pour des raisons d’hygiène sociale, mais j’étais de plus en plus persuadé que le meurtrier s’était introduit dans cette chambre sans y avoir été invité. Un soldat enfile toujours ses bottes avant d’aller ouvrir sa porte à un visiteur. Il veut être en mesure de vous expédier ailleurs si votre physionomie ne lui revient pas.
Et le fait qu’il n’y ait qu’une seule coupe sur le plateau confirmait ma déduction.
À première vue, il ne semblait rien manquer dans son paquetage. C’était d’ailleurs l’opinion exprimée par Petronius. En aidant Censorinus à faire ses bagages pour quitter l’appartement de ma mère, j’avais eu le temps d’inventorier ses possessions. Sabre, poignard et ceinturon ; casque ; bâton de sa charge ; sac contenant les petits outils habituels ; tunique rouge de rechange et sous-vêtements. Comme il était en permission, il ne transportait ni lances ni bouclier. Une vieille facture de mansio mise à part, il n’avait conservé aucun document. (Un mansio de Campanie que je connaissais, près de la via Appia.)
Ses armes étaient parfaitement rangées, ce qui confirmait la théorie qu’il avait été attaqué par surprise. Apparemment, il n’avait même pas fait le geste d’atteindre son sabre. Il avait dû mourir après le premier coup terrible qu’on lui avait porté.
Lui avait-on dérobé quelque chose ? Je ne connaissais rien de l’état de ses finances. Il portait toujours une bourse plate fixée au bras et elle ne paraissait pas avoir été ouverte. De toute façon, elle était trop petite pour avoir pu contenir la somme nécessaire à son voyage et à son séjour à Rome. Le matelas légèrement de travers pouvait indiquer que l’assassin avait cherché de l’argent, mais c’était plus probablement Petronius qui l’avait déplacé en menant son investigation. Le cadavre m’empêchait d’examiner le lit, et vu l’état des lieux il n’était pas question non plus de soulever les lattes du parquet. Sans compter que je n’avais pas le temps et rien qui puisse me servir de levier. Je sentis soudain le découragement me gagner. Il ne me restait plus qu’à espérer que Petro reviendrait le faire à ma place et trouverait quelque chose.
Je m’appliquai à mémoriser l’état des lieux pour continuer à me creuser la cervelle après avoir quitté la chambre du crime. Je n’avais rien remarqué d’important, mais un déclic pouvait se produire plus tard.
Je repassai près du cadavre sans le regarder et sortis le plus vite possible.
Je dus faire un gros effort pour retrouver mon calme avant de pouvoir remettre la corde en place. Quand je me retournai, après y être parvenu, une silhouette qui se dressait dans l’obscurité au bas des marches me causa une atroce frayeur.
— Epimandos !
Même avec l’escalier qui nous séparait, je pouvais voir qu’il était réduit à l’état de statue.
Je descendis lentement jusqu’à lui. Je n’arrivais pas à chasser la vision horrible que je venais d’avoir. Des frissons me secouaient le dos.
Le serveur me bouchait le passage. Dans le creux de son bras droit, il tenait un grand pot de terre cuite plein d’huîtres sans avoir l’air de faire un effort particulier. Des années passées à soulever de lourds chaudrons de nourriture pour les placer dans les trous des comptoirs lui avaient fait des muscles.
— Oublions les huîtres. Ce que je viens de voir m’a coupé l’appétit.
— As-tu trouvé le coupable ? demanda-t-il dans un murmure craintif.
— Tout ce que je sais, c’est que ce n’est pas
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