L'or de Poséidon
moi !
— Bien sûr que non, renchérit Epimandos, qui savait se montrer loyal envers ses clients.
J’aurais préféré avoir le temps de me remettre de mes émotions, mais je profitai de ce que nous étions dans la cuisine, loin des yeux et des oreilles, pour l’interroger sur la nuit où le centurion était mort.
— J’ai tout dit au capitaine de la garde.
— Parfait, mais j’ai besoin de l’entendre moi aussi.
— La même chose qu’à Petronius ?
— Seulement si c’était la vérité ! Après ma bagarre avec Censorinus, quand est-il revenu ?
— Dans la soirée.
— Tout seul ?
— Oui.
— Tu en es bien sûr ?
Epimandos en avait été sûr jusqu’à ce que j’insiste. Il commença alors à douter. Ses yeux se mirent à papilloter, et il chevrota :
— Tout ce que je peux dire, c’est qu’il était seul quand il a soupé ici.
— Et après, il n’est pas ressorti ?
— Non.
— Il a bu ?
— Il est monté dans sa chambre.
— Sans rien dire ?
— Oui.
— Est-ce que quelqu’un est venu le voir ?
— J’ai vu personne.
— Tu avais beaucoup de clients ce soir-là ?
— En tout cas… plus qu’au Valérien.
Epimandos s’essayait à l’humour.
— Crois-tu que quelqu’un aurait pu monter le voir sans que tu t’en aperçoives ?
— C’est possible.
Vu la petitesse des lieux, il était impossible d’entrer par la rue sans se faire repérer par Epimandos, mais le serveur ne pouvait pas surveiller en permanence l’arrière de la caupona. (C’était par là que les habitués déguerpissaient s’ils voyaient un créancier approcher. Une sortie que les huissiers futés prenaient la précaution de faire bloquer par leurs gros bras.)
— Es-tu sorti faire une course ?
— Non, il n’a pas arrêté de pleuvoir.
— Tu as travaillé toute la nuit ?
— Jusqu’à la fermeture.
— Tu dors ici ? (Epimandos parut acquiescer à contrecœur.) Montre-moi où.
Il disposait d’une espèce de cabine à côté de la cuisine. Un bien triste refuge doté d’une petite couchette, d’un oreiller de paille, et d’une couverture caca d’oie. À un clou pendaient une amulette et un bonnet de laine. Il me revint en mémoire que l’amulette lui avait été offerte par mon frère. Sans doute en échange d’une note impayée.
D’ici, il aurait dû pouvoir entendre un intrus qui aurait pénétré dans la caupona en forçant les portes coulissantes de la rue, ou en passant par-derrière. Je remarquai cependant cinq amphores vides contre la cloison. J’en conclus que le serveur devait être payé en liquide, et qu’il était généralement ivre en allant se coucher. Une habitude sans doute connue des truands du coin. Il se peut que lors de cette fameuse nuit, son état de torpeur l’ait empêché d’entendre le vacarme au-dessus de sa tête.
— Et tu n’as entendu aucun bruit la nuit du crime ?
— Aucun, Falco.
Il avait l’air particulièrement sûr de lui, et cette certitude me déroutait un peu.
— Tu me dis la vérité ?
— Naturellement !
— Très bien…
Des clients appelèrent alors Epimandos qui s’empressa d’aller vers eux, content d’avoir une excuse pour s’éloigner de moi. Mais j’avais encore une question importante :
— Qui a découvert le cadavre ? Toi ?
— Non, la propriétaire, en allant réclamer le prix de la location…
Donc, il y avait bien une propriétaire ! J’en fus si surpris que j’abandonnai l’interrogatoire du serveur qui était en train de se faire abreuver de quolibets par des quidams impatients.
Ne voyant rien de mieux à faire, je sortis par la cuisine, débouchant dans une allée encombrée de vieux récipients ayant contenu du poisson dans la saumure ou de l’huile d’olive. À vue de nez, on accumulait là des détritus depuis une quinzaine d’années.
Tous les gens qui, comme moi, fréquentaient la caupona depuis une moitié de vie connaissaient ce passage. Et même un étranger au quartier pouvait deviner sans mal son existence.
Je restai un moment sur place à réfléchir. Si j’étais sorti tout de suite après avoir vu le cadavre, j’aurais vomi tripes et boyaux. Être obligé de me contrôler pour questionner le serveur avait aidé mon estomac à se remettre d’aplomb.
Je me retournai vers la porte en mauvais état pour voir si l’assassin y avait laissé des traînées de sang. Je n’en trouvai aucune. Ce qui ne signifiait pas
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