L'or de Poséidon
l’avais tenu sur des charbons ardents. Pour une fois, il se jeta dans l’action. Le pichet apparut si rapidement, pendant que je surveillais la rue, que je faillis le renverser en me retournant vers le comptoir. Toujours aucun signe de Petronius ni de ses acolytes.
Epimandos me dévisageait ouvertement. Il était forcément le dernier à ignorer que j’étais le principal suspect dans le meurtre de Censorinus. Il devait avoir été plus que surpris de me voir, quand tout l’Aventin s’attendait à apprendre mon arrestation d’un instant à l’autre.
J’avalai une grande lampée de vin, à la façon de quelqu’un qui s’apprête à se soûler lamentablement. Epimandos mourait d’envie de me poser quelques questions, mais il avait bien trop peur de ce que je pourrais dire ou faire. J’en vins à me demander quelle serait sa réaction si, étant vraiment coupable, je m’étais écroulé ivre mort sur son épaule en lui avouant mon crime comme le dernier des idiots. Il devait m’être reconnaissant de lui fournir un futur sujet de conversation avec les clients. Même si leur annoncer simplement : « Falco est passé, a bu un petit pichet de vin, puis est reparti comme il était venu » n’allait pas lui valoir un grand succès.
Je payai, m’assurai que j’avais bien terminé le vin et, au cas où Petro ferait son apparition, je m’apprêtai à partir.
La peur de me voir disparaître sans avoir le moindre ragot à se mettre sous la dent poussa le serveur à retrouver sa langue.
— On raconte que tu vas être arrêté.
— Les gens se délectent des ennuis des autres. Je n’ai rien à me reprocher.
— Les gardes m’ont dit que tu allais avoir du mal à t’en sortir.
— Alors je pourrais les attaquer en diffamation.
Epimandos me tira nerveusement par ma tunique.
— Mais tu es détective privé. Tu peux prouver que tu es innocent.
Je me dois de reconnaître qu’il faisait preuve d’une foi touchante dans mes capacités.
Je n’en interrompis pas moins ses marmottements incompréhensibles.
— Epimandos, combien tu veux pour me laisser jeter un coup d’œil dans la chambre ?
— Dans quelle chambre ? bredouilla-t-il faiblement.
— Tu veux dire que tu caches plusieurs vilains secrets ?
Le serveur devint livide. L’établissement avait dû abriter nombre de personnages peu recommandables.
— Allons, Epimandos, reprends tes esprits ! Le passé douteux de cette caupona ne m’intéresse en rien.
Il gardait un air terrorisé.
— Je veux parler, bien sûr, de la chambre où ton pensionnaire légionnaire a pris une retraite anticipée.
Le serveur resta muet et immobile. Je continuai sur un ton plus sévère :
— Epimandos, je veux que tu me conduises à la chambre occupée par feu Censorinus.
J’eus l’impression qu’il allait s’évanouir. Il s’était toujours montré très émotif. C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je l’avais toujours soupçonné d’être un esclave évadé.
— C’est impossible, finit-il par murmurer au comble de la désolation. Ils ont condamné la chambre. Il n’y a pas dix minutes que le garde est parti et…
À court d’excuses, il laissa sa phrase en suspens.
— Oh, par Hercule ! Tu n’es pas en train de me dire que le cadavre est toujours dans ton pigeonnier ? (Je levai les yeux au plafond.) Ça risque de poser des problèmes avec les clients, si le sang commence à goutter sur leurs têtes. (Le serveur paraissait de plus en plus mal à l’aise.) Pourquoi ils l’ont pas emmené sur une charrette ?
— Parce que c’était un soldat. Petronius a dit qu’il fallait d’abord prévenir l’armée.
Pures foutaises ! Mon ami le capitaine n’avait pas coutume de faire preuve d’autant de respect envers l’armée et, surtout, il se souciait comme d’une guigne des formalités officielles. Je fronçai les sourcils en me demandant si, par hasard, son but n’était pas de me permettre de jeter un coup d’œil…
— Est-ce que tu as des huîtres ? demandai-je au serveur.
— Non.
— Dommage, j’en voudrais.
Maintenant que j’avais cessé de parler de cadavres, il paraissait légèrement plus à l’aise.
— On n’a jamais d’huîtres, ici, Falco ! (Il était habitué aux clients ivres, ou sourds, ou les deux.) C’est au Valérien qu’on sert des huîtres.
Il faisait référence à la caupona qui occupait l’autre coin de rue. Un endroit agréable et propre où
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