L'or de Poséidon
l’acquisition d’un Phidias ?
— Un Phidias ? (J’éprouvai deux chocs coup sur coup.) C’est la première fois que j’entends dire que Festus faisait son marché parmi les Sept Merveilles du Monde.
— Oui, il voyait grand, commenta Geminus en haussant les épaules.
Une fois de plus, je me sentais comparé à mon frère, et la comparaison n’était jamais à mon avantage.
— Quand j’ai plaisanté en demandant s’il cambriolait les temples, je ne pensais pas à Zeus !
— Il m’a dit que c’était un Poséidon, déclara sèchement mon père. Pas trop grand.
— Ça devait vouloir dire qu’il était immense. Et tu étais au courant ? insistai-je sans pouvoir y croire.
— Seulement quand il a été trop tard pour être jaloux. J’ai appris en même temps le naufrage de l’ Hypericon. Pendant sa dernière permission, Festus m’a avoué qu’il avait énormément perdu avec ce naufrage, et il m’a parlé du Poséidon.
Son plan avait beau avoir échoué d’une façon dramatique, il devait être encore tout excité.
— Tu as cru son histoire ?
— J’ai eu du mal à le prendre au sérieux. Surtout qu’il était presque toujours soûl. Remarque que s’il avait perdu un Phidias, c’était compréhensible. Je me serais soûlé moi-même.
— Si Festus avait un vrai Phidias à bord de l’ Hypericon, il est maintenant au fond de la mer.
— Et c’est peut-être là que ses copains de la Quinzième souhaiteraient se trouver, déclara Geminus. Si ma théorie est exacte.
— Quelle théorie ?
J’avais un bien mauvais pressentiment.
Geminus prit le temps de vider sa coupe.
— Ma théorie est que les honorables compagnons de ton frère ont acheté un Phidias en dévalisant la banque d’épargne de leur légion.
Dès qu’il eut exprimé son opinion, je me dis que ça tombait sous le sens.
— Par tous les dieux, si on s’en aperçoit, ils sont bons pour la peine capitale.
— Je crois qu’on peut raisonnablement en induire, ajouta Geminus, que Censorinus pensait que toi et moi allions leur rembourser la somme à temps pour qu’ils sauvent leurs peaux. La révolte juive est matée, la Quinzième Apollinaris n’a plus à mener de glorieuses actions guerrières et va reprendre une vie militaire normale et…
— Et ils s’attendent à une visite des contrôleurs du Trésor !
25
Le mystère s’éclaircissait, mais il n’y avait là rien de nature à soulager mon angoisse. Bien au contraire.
Soudain je trouvai la pièce glaciale, et mon tabouret me parut extrêmement inconfortable. J’avais envie de me lever pour me dégourdir les jambes, mais l’horreur me clouait sur place.
Ma mère m’avait demandé de défendre la réputation de mon frère. Malheureusement, plus je creusais le sujet, plus sa position m’apparaissait indéfendable. Au cas où la théorie de mon père s’avérerait exacte, difficile de croire que Festus ignorait la provenance de l’argent mis à sa disposition. Pire, j’étais à peu près persuadé que l’idée venait de lui.
Chaque légion possède sa propre banque d’épargne. Les fonds sont gardés dans le saint des saints : sous l’autel du quartier général. Ils sont constitués des retenues sur les payes des soldats pour leur nourriture et leur équipement, et l’éventuelle organisation de leurs funérailles décentes. Et si le militaire atteignait l’âge de la retraite après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, l’administration lui permettait de regagner la vie civile avec un solide pécule. La moitié des donations impériales était ainsi mise de côté dans cette perspective. Ces donations énormes étaient versées aux légions par tous les nouveaux empereurs pour s’assurer leur loyauté – l’opération pouvait d’ailleurs se renouveler à chaque fois qu’éclatait une crise grave. Si bien qu’au cours d’une carrière menée à son terme, un légionnaire pouvait espérer avoir vendu sa loyauté plusieurs fois. Et cher.
Ce trésor était sacro-saint, et de nombreux employés vérifiaient régulièrement les comptes. Évidemment, des coffres bourrés d’argent se trouvant aux frontières les plus difficiles de l’Empire étaient par trop tentants. Mais s’il y avait jamais eu un vol, il n’était jamais parvenu jusqu’à mes oreilles. On pouvait faire confiance à mon frère pour être mêlé au premier !
Une fois encore, les pensées se bousculaient dans ma tête. Si une énorme
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