L'or de Poséidon
comprendre que l’ Hypericon était parti de Césarée.
— C’est la version de Censorinus. Il a dû y faire escale pour que Festus embarque son bois de cèdre et la pourpre. Et c’est peut-être là qu’il devait payer son agent.
— L’agent était lui aussi sur le bateau ?
Mon père m’observa longuement.
— Je n’en ai pas la moindre idée, finit-il par dire.
— Est-ce que le naufrage de l’ Hypericon a un rapport avec la blessure qui lui a valu une permission ?
— C’est le seul motif de cette blessure, à mon avis.
Festus était rentré à la maison pour tenter de mettre de l’ordre dans ses affaires. Ce qui signifiait qu’au moins une partie du problème avait pour cadre Rome, et que j’avais une petite chance de le découvrir.
Je m’apprêtais à interroger mon père sur les événements dont j’avais été témoin le jour même, lors de la vente aux enchères. Je devais savoir s’ils étaient liés d’une façon ou d’une autre au scandale qui couvait. Mais je fus interrompu par un gamin en nage et visiblement épuisé.
Il s’agissait de Gaius, le deuxième fils de ma sœur Galla. Ce polisson futé avait 12 ans, et même s’il était petit pour son âge, il avait la gravité d’un patriarche et les manières d’un voyou. Gaius deviendrait peut-être un homme modeste et cultivé (j’en doutais), mais pour l’instant il préférait jouer les emmerdeurs. Il aimait porter des bottes trop grandes pour lui. Il s’était tatoué son nom en bleu sur un bras en lettres grecques, avec de la guède, et quelques-unes des lettres s’infectaient. Il faut dire qu’il ne se lavait jamais. Une fois par mois, pour faire plaisir à Galla, je le traînais dans les bains publics à une période calme et je le lavais de force.
Il entra en trombe dans le bureau et se jeta sur une couche où il essaya de reprendre son souffle. Puis, après avoir essuyé son nez à la manche de sa tunique d’une couleur bizarre, il s’exclama :
— Par Jupiter, il faut de l’énergie pour vous suivre à la trace, tous les deux ! Allons, oncle Marcus, un peu de cran ! Et donne-moi à boire.
26
Trois générations de la famille Didius se dévisageaient avec circonspection. Personnellement, j’ignorai la demande de Gaius, mais Geminus lui servit une petite coupe de vin.
— Oh, grand-père, sois pas aussi radin !
Geminus leva le flacon d’un geste élégant et remplit sa propre coupe. Je le lui pris ensuite des mains pour me resservir moi-même. Je pris les dernières gouttes.
— Que viens-tu faire ici, morveux ?
— J’ai un message pour l’homme à problèmes, là, annonça-t-il en me regardant fixement.
Chez lui, on l’avait surnommé « Où est Gaius ? » parce que personne ne le savait jamais. Il sillonnait la ville tout seul en mettant des projets plus ou moins avouables au point : un trait familial récurrent. Je prévoyais que ce gamin serait bien pire que Festus, qu’il deviendrait un véritable escroc.
Il était cependant difficile d’espérer autre chose de lui avec le père qu’il avait : un batelier coureur de péplums que ma sœur Galla, pourtant pas très finaude, jetait souvent dehors. Dans ces circonstances, que pouvait-on attendre des enfants ?
Je regardai Gaius avec bienveillance. Il n’en parut pas du tout impressionné. Difficile de trouver la bonne attitude face à un gamin vêtu d’une tunique sale bien trop grande, et qui se comporte comme s’il avait deux fois votre âge. Sa façon de m’observer aurait pu me pousser à penser que j’avais 10 ans, qu’on venait juste de m’expliquer d’où venaient les bébés, et que je n’en croyais pas un mot.
— Déballe ce que tu es venu dire, Hermès.
— Petronius a offert un dinar à la première personne qui te trouverait.
Franchement, je croyais Petro plus sensé.
— Alors y a plein de gens qui s’agitent dans tous les sens comme des gibbons au cul pelé. (Gaius était très fier de l’étendue de son vocabulaire.) Moi je sais me servir de ma caboche, c’est pas comme eux.
— Tu t’y es pris comment ? voulut savoir Geminus.
C’était d’ailleurs à son intention que Gaius se donnait la peine de jouer ce rôle. Pour ses petits-enfants, mon père était un renégat entouré d’un profond mystère ; un personnage qui habitait parmi les scintillantes boutiques des orfèvres de la Sæpta, dans une caverne pleine d’objets fabuleux. Ils le trouvaient tous merveilleux. Et le
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