L'or de Poséidon
travail en ce moment ?
— Ouais. Une bonne commande. Varga est en train de faire le Viol des Sabines pour que des aristos les regardent en se gavant de paon en gelée. Il est doué pour le viol, l’ami Varga…
— Je n’en doute pas un seul instant !
— Je leur décore deux salles : une en blanc, une en noir. De chaque côté de l’atrium. J’aime la symétrie.
— Ça double tes honoraires ? essayai-je de plaisanter.
— Les vrais artistes se moquent de l’argent.
— Cette attitude généreuse explique sans doute pourquoi tu as dû t’abaisser à peindre ces fresques pornos à La Vierge. C’était pour payer une facture ?
Varga fit la grimace.
— Oh, ce truc !
— T’as pas fait de gros efforts, dis-je, en constatant la qualité de ce qu’il peignait pour lui-même.
— Ah, Marcus, quelle terrible chose que d’avoir soif !
Ce genre de conversation commençait à m’ennuyer sérieusement. Mes pieds s’étaient suffisamment réchauffés pour commencer à me faire mal. Le reste de mon corps était raide et fatigué. J’en avais marre de boire, marre de respirer à peine tellement l’atmosphère était empuantie, marre d’écouter des élucubrations d’ivrognes.
— Arrêtez de m’appeler Marcus ! m’écriai-je sèchement. Vous ne me connaissez pas.
Interdits, ils me regardèrent en clignant des yeux. Ils étaient bien loin du monde réel. Je crois qu’ils n’étaient même plus en mesure de me dire comment ils s’appelaient eux-mêmes, ni la date de leur anniversaire.
— Qu’est-ce qu’il te prend, Marcus ?
— Reprenons les choses au début. Je suis Marcus Didius Falco. (Grâce aux effets du contenu de mon amphore, ils avaient perdu leur air bravache et, cette fois, ils me laissèrent aller jusqu’au bout.) Vous avez connu Marcus Didius Festus. Un autre nom ; un autre visage ; une autre personnalité. Oui, vous pouvez me croire : surtout une autre personnalité.
Manilus, probablement celui qui essayait de régler les problèmes délicats, appuya une main sur le lit pour se redresser à moitié. Il essaya de parler, mais n’y réussit pas. Il se laissa retomber sur le dos.
— Festus, chevrota Varga en fixant le plafond.
Au-dessus de sa tête, à un endroit parfaitement choisi, il avait peint une divine Aphrodite au bain. Le modèle n’était pas Rubinia, mais une petite blonde particulièrement exquise. Si le portrait était ressemblant, il aurait mieux fait de la garder dans son lit. Le problème avec ces blondes, c’est qu’elles veulent des repas réguliers et une collection de colliers. Sinon, pourquoi dépenseraient-elles autant pour se faire teindre les cheveux ?
— Oui, Festus, répétai-je, en me demandant quelle était la meilleure marche à suivre.
— Festus… (Varga parvint à rouler sur le côté et m’observa en louchant. Au fond de ses yeux gonflés, une étincelle de lucidité paraissait s’être allumée.) Qu’est-ce que tu veux, Falco ?
— Je veux que tu me dises pourquoi, au cours d’une certaine nuit, il y a cinq ans, Marcus Didius Festus cherchait à te rencontrer. Je t’ai vu avec lui à La Vierge.
— Il peut même pas se rappeler qui il a rencontré à La Vierge il y a cinq jours, intervint Manilus qui tentait de rassembler ses facultés. Tu te rends compte de ce que tu demandes ?
— Je ne tiens pas à offrir mon cou à l’étrangleur public, avouai-je franchement. Un soldat du nom de Censorinus a été assassiné simplement pour avoir posé ce genre de question. Du moins c’est ce que je crois. Si je ne parviens pas à jeter une lumière sur ces événements, je vais être condamné pour son meurtre. Je ne peux pas être plus clair : je suis un homme désespéré !
— Je ne sais rien sur rien ! m’assura Varga.
— En tout cas, tu en sais assez pour mentir ! m’écriai-je sur un ton badin. (Puis je baissai la voix.) Festus est mort. Vous ne pouvez donc lui causer aucun tort. Il se peut même que la vérité protège sa réputation – même si je ne le pense pas vraiment. Mais si vous ne voulez pas m’offenser, moi, n’essayez pas de faire de cachotteries.
— Je suis complètement dans le brouillard, je t’assure, répéta Varga.
— Je déteste les gens qui jouent les idiots !
Je sautai du lit où j’étais étendu et m’emparai de son bras droit. Je le lui tordis suffisamment fort pour qu’il ait mal. Avant de bondir, j’avais déjà sorti mon poignard. Je l’appuyai
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