L'Orient à feu et à sang
prisonnière des Perses. Pourtant, chaque matin, d’autres corps étaient dénudés ; leurs armures, leurs vêtements, leurs bottes avaient disparu. Les détrousseurs de cadavres ne pouvaient venir que du camp sassanide.
Des milliers et des milliers de Perses morts ; leur nombre était impossible à estimer. Demetrius raconta comment le roi perse calculait les pertes humaines. Selon Hérodote, au début de la campagne, dix mille hommes se rassemblaient, serrés les uns contre les autres. On traçait alors une ligne autour d’eux avant de les congédier. Une clôture haute d’environ quatre pieds était ensuite érigée sur la ligne. Puis, par groupes de dix mille, les soldats se rassemblaient dans l’enclos jusqu’à ce que toute l’armée eût été comptée. À la fin de la campagne, on répétait la procédure et le roi des rois pouvait savoir combien d’hommes il avait perdus.
Bagoas partit d’un rire amer. Il ne connaissait pas Hérodote, mais cet homme ne pouvait être qu’un menteur ou un fou. À quoi servirait d’estimer les pertes humaines à dix mille hommes près ? En réalité, avant que Shapur, le bien-aimé de Mazda, entreprît d’aller châtier les incroyants, il faisait défiler devant lui chaque guerrier ; tous devaient jeter une flèche à ses pieds. Lorsque le Roi des Rois, adorateur de Mazda, revenait auréolé de gloire et chargé des richesses pillées sur les terres des non-Aryens, il ordonnait à chaque guerrier de ramasser une flèche. Les flèches restantes indiquaient le nombre de bénis de Mazda ayant rejoint le paradis.
Demetrius lança à Bagoas un regard noir.
Ballista ne chercha pas à en savoir plus. Il savait que le décompte des morts perses n’avait guère d’importance. Une centaine, un millier de morts de plus, ne changeaient rien. Étant donné leur écrasante supériorité numérique, ce n’étaient pas les pertes humaines des Sassanides qui importaient, mais leur volonté de combattre et la volonté de Shapur de les pousser à combattre. Ballista savait que pour sauver la ville d’Arété, il lui faudrait briser l’une ou l’autre. Il soupçonnait que les Perses craqueraient avant leur roi des rois.
Par comparaison, les pertes romaines étaient négligeables. Pourtant, elles étaient plus élevées que Ballista ne l’avait escompté, trop élevées pour qu’il en essuyât de semblables à nouveau. L’orage de flèches sassanides était quelque chose qu’il n’avait jamais connu auparavant. Il avait craint un moment qu’il balayât ses soldats des remparts à lui seul. Si les Perses parvenaient à répéter cela trois ou quatre jours de suite, il ne resterait plus d’hommes pour défendre les murs. Mais Ballista savait qu’aucune armée au monde ne pouvait faire front, jour après jour, devant les murs d’Arété et essuyer des pertes aussi lourdes.
Dans le camp romain, les archers avaient le plus souffert. Les six centuries de la Cohors XX Palmyrenorum avaient perdu plus de la moitié de leurs effectifs. Chaque centurie comptait maintenant seulement cinquante soldats. Les légionnaires de Legio IIII Scythica s’en étaient mieux tirés. En moyenne, chacune des huit centuries défendant la muraille ouest avait perdu dix hommes, ce qui ramenait leurs effectifs à une soixantaine. Dix des artilleurs de Mamurra manquaient à l’appel. Chose extraordinaire puisqu’ils s’étaient trouvés à tout moment au cœur de la tempête, seuls deux des gardes du corps de Ballista, ses equites singulares , étaient tombés.
Sur un total des pertes romaines dépassant largement quatre cents hommes, environ la moitié étaient morts. On les avait enterrés dans le terrain à l’est du magasin d’artillerie, désormais destiné à être un cimetière d’urgence. Ballista n’ignorait rien des dangers de la peste et de ceux de la désaffection des troupes si les corps des assiégés n’étaient pas traités avec tout le respect qu’on leur devait. Les problèmes de santé publique et de sensibilité religieuse faisaient plus que justifier les efforts supplémentaires accomplis pour enterrer les morts. Le reste des pertes était constitué par des blessés qui l’étaient trop grièvement pour combattre. La majorité d’entre eux finiraient par mourir ; la plupart d’empoisonnement du sang et dans d’atroces souffrances. Avant cela, les équipes médicales militaires allaient être très occupées. On avait grand besoin de tous les soldats de
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