L'Orient à feu et à sang
mais cela n’a vraiment rien à voir, se rengorgea Maximus.
— On ne peut pas s’empêcher de penser que, dans l’ensemble, c’est plutôt une bonne chose que cela soit moi qui te possède plutôt que l’inverse.
Le bélier s’avançait sur la route, flanqué des mantelets protégeant les balistes et les archers.
« Père-de-Tout, nous y voilà à nouveau ! » Machinalement, Ballista accomplit le rituel qui précédait chacune de ses batailles : tirer légèrement sa dague de sa gaine, la remettre en place ; tirer son sabre de son fourreau, le remettre en place ; effleurer l’amulette de pierre sur le fourreau.
Tandis que les Sassanides dépassaient les tas de pierres blanches et arrivaient à portée, Ballista adressa un signe de tête à Antigonus qui donna le signal. L’artillerie commença à tirer. Cette fois-ci, il avait ordonné aux balistaires de viser exclusivement les engins ennemis. Les Perses poussant le grand bélier s’émerveilleraient de la chance qu’ils avaient. Une chance inespérée dont Ballista pensait qu’elle donnerait à réfléchir à Shapur et son entourage.
La pratique aidant, les artilleurs d’Arété avaient gagné en précision. Lorsque les lignes perses atteignirent la portion de mur peinte en blanc, trois de leurs balistes avaient déjà été écrasées par des projectiles propulsés à grande vitesse. Tandis que le bélier, les mantelets et les archers continuaient à avancer vers les murs de la ville, l’artillerie sassanide se mit en batterie et commença à tirer. Égalité parfaite : deux engins chez les assiégés et deux chez les assaillants furent mis hors d’usage. C’était bien là le seul domaine où Ballista pouvait espérer gagner une bataille d’usure. Il eut aussitôt honte de cette pensée : les hommes mouraient, les siens comme ceux de l’ennemi, et il calculait le nombre d’engins détruits et endommagés et estimait les effets que cela aurait sur la fréquence de tir. C’était ignoble. Dieu merci, la guerre ne pouvait jamais se réduire à un simple affrontement impersonnel de machines. Si elle le pouvait, elle n’en serait que plus inhumaine encore.
Les officiers sassanides contrôlaient admirablement leurs troupes. Les archers ne tirèrent pas avant que l’on eût mis les mantelets en position à tout juste cinquante pas des murs. Pas une flèche ne fut lâchée avant le signal. Lorsqu’il fut donné, le ciel s’assombrit à nouveau. Tandis que l’orage de flèches s’abattait dans un sifflement terrifiant, Ballista fut une nouvelle fois stupéfié par sa formidable intensité. Les assiégés se blottissaient derrière les remparts et sous leurs boucliers. Des cris et des plaintes s’élevaient, montrant que tous n’avaient pas réussi à se mettre à l’abri. Pendant la pause qui précéda la prochaine salve, les archers d’Arété se levèrent à la hâte pour riposter.
Accroupi derrière le parapet, des boucliers disposés tout autour de lui, Ballista savait qu’il devait ignorer la pluie de flèches. Elle n’était qu’accessoire. Les philosophes stoïques affirmaient que tout ce qui ne sert pas le dessein moral de l’homme était accessoire. Selon eux, la mort était accessoire : « Les vieux fous ! » L’unique dessein de Ballista était de détruire le grand bélier, le Khosro-Shapur.
À en juger par la taille de la tortue, le bélier mesurait environ soixante pieds de long. L’extrémité qui en émergeait était recouverte d’une gaine de métal figurant, comme de juste, une tête de bélier. Elle était fixée à la poutre par des bandes de métal clouées. La poutre elle-même devait faire deux pieds de diamètre. Comme la tortue, elle était recouverte de peaux humidifiées.
S’armant d’un courage suicidaire, des Perses se ruèrent devant le bélier pour démanteler les restes de la tour calcinée et en jeter les débris dans la fosse où elle s’était enfoncée. Ils n’étaient qu’à une vingtaine de pas des murs et offraient une cible facile aux archers romains. Le fanatisme qui poussait les Sassanides à se précipiter vers une mort certaine pour remplacer les hommes qui étaient tombés avait quelque chose de profondément troublant. Étaient-ils ivres ou sous l’emprise d’une drogue ?
La tortue avançait petit à petit. Les débris dans la fosse bougeaient, mais supportaient son poids. Elle s’approchait de la porte.
— Paré tout le monde ? Les voilà.
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