L'Orient à feu et à sang
construite. La rigoureuse politique de la terre brûlée de Ballista semblait porter ses fruits. Il n’y avait plus de bois de construction à des milles à la ronde. S’ils voulaient construire d’autres engins de siège, les Sassanides devraient aller très loin pour se procurer les matériaux. Ballista se sentait raisonnablement confiant pour ce qui était de l’artillerie ; il avait toujours vingt-cinq pièces en batterie sur la muraille ouest, contre un total de vingt pour les Perses.
Précédé par le Drafsh-i-Kavyan claquant dans le vent, Shapur se dirigea vers une tribune sur laquelle on avait placé un trône aux scintillantes incrustations de métaux précieux et de gemmes. Il s’y assit. Derrière le trône, se dressait la masse terrifiante et ridée de ses dix éléphants. Devant se tenaient les « Immortels », commandés par Peroz au long sabre et les Jan-avasper, (ceux qui se sacrifient), menés par Mariadès.
Ballista ne trouvait pas étonnant que Shapur n’eût pas jusqu’à alors tenté d’utiliser son docile prétendant au trône romain pour saper la loyauté des assiégés. Qui se rallierait à un ex-conseiller devenu brigand puis traître comme Mariadès ? C’était aussi improbable que d’essayer d’élever à la pourpre impériale un guerrier barbare tel que Ballista lui-même.
On faisait place nette pour le grand bélier ; les suivants du roi, les prêtres et tout leur attirail furent emmenés plus loin. Les soldats scandaient : « Khos-ro-Sha-pur ! Khos-ro-Sha-pur ! »
Là résidait le fond du problème – le bélier, la gloire de Shapur, et la tortue qui le protégeait. À en juger par l’endroit où on l’avait assemblé, il allait probablement emprunter la route et se diriger droit sur la porte de la Palmyrène. Ballista avait pris ses dispositions en conséquence et espérait que cette hypothèse s’avérerait exacte. Tout ce dont il disposait pour tenir le bélier en échec se trouvait à la porte. Le cuir de vache et la paille qu’il avait réquisitionnés étaient empilés non loin. Les conseillers se souviendraient-ils qu’ils avaient ricané lorsqu’il avait annoncé cette réquisition ? Ses trois grues mobiles étaient stationnées derrière la porte. Elles étaient équipées de grappins de fer et une confortable réserve d’énormes rochers était entreposée à portée. Et puis il y avait son nouveau mur, derrière le grand portail extérieur. Pendant quatre jours, les légionnaires s’étaient employés à sa construction. Dommage qu’il eût masqué la peinture de la Tyché d’Arété. Les superstitieux y verraient sans doute un présage – mais Ballista n’était pas superstitieux.
Le Khosro-Shapur emprunterait-il la route pour se diriger droit sur ces défenses soigneusement préparées ? Ou bien Shapur avait-il été averti par le traître ? Depuis l’attentat raté contre les greniers, il y avait un traître de moins dans la ville d’Arété. Mais Ballista était sûr qu’il en restait au moins un autre. Il avait fallu deux hommes au moins pour incendier le magasin d’artillerie, au moins deux hommes pour assassiner Scribonius Murcianus et se débarrasser du corps. Certes, les Sassanides n’avaient pas été avertis de la présence, juste devant la porte, de la jarre pleine de naphte qui avait eu raison de leur tour de siège. Pour Ballista, cela dénotait un problème de communication, mais ne voulait pas dire qu’il n’y eût plus de traître.
Shapur agita les bras, faisant voleter au vent ses banderoles violettes et blanches. Des sonneries de buccin et des roulements de tambour retentirent. La grande tortue abritant le Khosro-Shapur s’ébranla, accompagnée des mantelets, des balistes et de nuées d’archers.
— Tu crois qu’il s’entraîne à faire cela ? demanda Maximus.
— À faire quoi ? répondit Ballista.
— À agiter ces banderoles dans tous les sens. Il doit vraiment avoir l’air d’un abruti lorsqu’il s’exerce tout seul à faire ce genre de simagrées. Ce n’est pas comme si cela servait à quelque chose.
— Et toi, pourquoi passes-tu ton temps libre, lorsque tu n’es pas en train de courir la gueuse, à faire ces passes d’armes extravagantes avec ton gladius ?
Maximus rit.
— Mais parce que cela intimide l’adversaire. J’ai déjà vu des hommes adultes en pleurer de terreur.
Ballista regardait son garde du corps sans rien dire.
— Oui, bon, je vois ce que tu veux dire,
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