L'Orient à feu et à sang
Il y eut un terrible craquement de bois brisé. Le Khosro-Shapur triomphait une nouvelle fois. Le portail extérieur de la porte de la Palmyrène n’était maintenant plus qu’un amas de petit bois. Les Sassanides à l’intérieur de la tortue poussèrent des cris de joie, puis se turent. Il s’étaient attendus à voir, comme on le leur avait dit, un couloir terminé par une porte en bois moins épaisse. Ce n’était pas le cas. Ils regardaient un mur de pierres étroitement jointes.
Les flèches des trois grues, leurs rochers se balançant au bout de leurs chaînes, décrivirent un arc et repassèrent par-dessus les remparts. Une nouvelle fois, Ballista se leva, affrontant la grêle de projectiles, pour guider l’une d’entre elles – à droite, à droite, un peu plus loin – tandis que Maximus et deux des equites singulares s’efforçaient de le protéger de leurs boucliers. Une flèche s’enfonça dans la gorge d’un des gardes. Il tomba à la renverse et son sang éclaboussa le groupe, piquant les yeux de Ballista. Les trois grappins relâchèrent leur charge. On entendit le bois éclater tandis que deux des rochers traversaient le toit de la tortue, exposant les hommes à l’intérieur. Ballista se remit à couvert : il était inutile de jouer les héros. Maximus et le garde restant se couchèrent à moitié sur lui.
Il n’eut pas besoin de donner des ordres : il pouvait sentir la résine et le goudron. Tous les matériaux inflammables pouvant être tirés ou jetés depuis les remparts s’engouffrèrent dans le trou béant sur le toit de la tortue. Ballista, souhaitant qu’il leur restât du naphte pour parachever le travail, s’efforçait de contrôler sa respiration et le tremblement de ses mains.
— Oui, oui, oui !
Ouvrant les yeux, il vit Maximus penché à un créneau en train de regarder en contrebas. L’Hibernien levait le poing.
— Ça brûle ! Ça brûle comme un chrétien dans le jardin de Néron !
Ballista leva les yeux vers le draco flottant au dessus de la tour. Le vent du sud s’engouffrait dans ses mâchoires de métal et son corps blanc se gonflait, ondulant et claquant comme un serpent. La pluie de projectiles s’était faite moins forte. Maximus avait été rejoint par Mamurra et tous deux regardaient par-dessus les remparts. Demetrius et Bagoas étaient blottis par terre. Le jeune Grec semblait très pâle. Ballista lui donna quelques tapes dans le dos, comme s’il flattait un chien.
— Ils ont leur compte. Ils se carapatent.
Maximus et Mamurra se levèrent. Ballista resta à sa place.
Sans raison apparente, un groupe de filles apparut sur le toit de la tour, très court-vêtues et parées d’un grand nombre de bijoux bon marché. Les flèches avaient cessé de s’abattre et Ballista regarda les filles marcher jusqu’aux remparts. Elles se tenaient en ligne et ricanaient. Dans un beau mouvement d’ensemble, elles remontèrent leurs tuniques autour de leur taille. Interloqué, Ballista se surprit à contempler une rangée de quinze derrières dénudés.
— Foutre ! Qu’est-ce qui se passe ?
Le visage en parpaing de Mamurra se fendit d’un large sourire.
— C’est le 3 mai.
Devant l’incompréhension totale de Ballista, le prœfectus fabrum continua.
— Le dernier jour des Ludi Florales (les floralies), il est d’usage ce jour-là que les prostituées de la ville s’exposent en public.
Il indiqua du pouce la direction vers laquelle les filles s’étaient tournées.
— Elles honorent les dieux et en même temps, elles montrent aux Sassanides ce qu’ils n’auront pas le loisir d’apprécier.
Tous les hommes sur la tour riaient aux éclats. Seul Bagoas ne s’était pas joint à eux.
— Allez, lui dit Maximus, sois pas bégueule ! Même un Perse comme toi doit avoir envie d’une fille de temps en temps, ne serait-ce que lorsqu’il n’a plus de garçon sous la main.
Bagoas l’ignora et se tourna vers Ballista.
— Montrer ainsi les parties qu’il est indécent de regarder est un présage. N’importe quel mobad [76] vous le dira. Cela annonce la chute de cette ville d’incroyants. De la même manière que ces femmes dévoilent aux Sassanides leurs endroits secrets et cachés, la ville d’Arété leur dévoilera les siens.
Pendant un jour et une nuit, une colonne de fumée noire et grasse se déploya vers le nord tandis que le Khosro-Shapur, la gloire de Shapur, brûlait. Les flammes alimentées par le grand
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