L'Orient à feu et à sang
hanter », pensa Crasticius, tandis qu’il plaçait sur son dos son bouclier porté en bandoulière et commençait l’ascension. Depuis que le jeune optio avait déjoué l’attentat contre les greniers, il ne cachait pas son ambition. Au bord du fleuve, le versant opposé du ravin sud était assez escarpé et c’était ce qui avait attiré l’attention de Prosper : « Les Sassanides ne s’attendront jamais à un raid venant de cet endroit. » « Eh bien, on va bientôt savoir si tu avais raison, jeune homme. »
Castricius arriva au sommet parmi les premiers. Il n’avait pas le vertige et était bon grimpeur. Il regarda par-dessus le bord du ravin. Le premier des feux de camp perses se trouvait à environ cinquante pas. Il aperçut tout autour les silhouettes des hommes endormis enveloppés dans leurs couvertures. Aucune sentinelle n’était en vue. On entendait au loin, par bribes, des hommes parler, rire et chanter. À proximité, personne ne semblait éveillé.
Lorsque la plupart des hommes l’eurent rattrapé, Prosper dit seulement « Maintenant ». Il y eut un moment de flottement tandis que tout le monde se hissait par-dessus le bord du ravin, se levait, détachait son bouclier et dégainait son épée. Comme par miracle, les Sassanides continuèrent à dormir.
Sans qu’il fût besoin de leur en donner l’ordre, les volontaires, éclairés par la lune, en ordre dispersé, entreprirent de franchir les cinquante pas qui les séparaient du feu de camp. « Avec de la chance, beaucoup de chance, ça devrait marcher », pensa Castricius. Il allongea le pas et se mit à courir avec les autres. Il choisit son homme : enveloppé d’une cape rouge, le bonnet baissé sur le visage, toujours inerte. Il brandit sa spatha.
Au moment où son épée toucha la forme immobile, il sut que les choses allaient terriblement mal se passer : ils étaient tombés dans un piège et il allait probablement y laisser la peau. La lame s’enfonça dans le mannequin de paille. Aussitôt, Castricius s’accroupit, le bouclier levé – juste à temps. La première volée de flèches s’abattit sur les Romains. Leurs pointes percutaient les boucliers, rebondissaient contre les cottes de maille et les casques en métal, s’enfonçaient dans les chairs. Des hommes hurlèrent.
Un choc à la tempe gauche projeta Castricius à terre. Il mit un moment à se rendre compte, tandis qu’il ramassait son épée, que c’était une flèche, qu’ils étaient pris entre deux feux.
— Tortue, en formation de tortue ! cria Prosper.
Plié en deux, Castricius se traîna jusqu’à l ’optio. Une flèche frôla son nez. Près de lui, un homme sanglotait, appelant sa mère en latin.
Une sonnerie de buccin, haute, claire et victorieuse retentit dans la confusion de la nuit. Les flèches cessèrent de pleuvoir. Les Romains regardèrent autour d’eux ; ils n’étaient plus qu’une vingtaine, en groupe épars plutôt qu’en formation rapprochée de tortue.
Le buccin sonna à nouveau et fut suivi par un chant qui allait s’amplifiant : « Pe-roz ! Pe-roz ! Victoire ! Victoire ! » Une vague de guerriers sassanides sortit de l’ombre. La lueur du feu se reflétait sur leurs armures, sur la longue, longue lame de leurs sabres, dans leurs regards meurtriers.
— Putain, il y en a des centaines ! fit une voix.
Comme une vague déferlant sur le rivage, les Perses furent sur eux. Castricius para le premier coup avec son bouclier puis, paume vers le haut, frappa de droite à gauche, très bas. La spatha passa sous la garde de son adversaire, lui entamant la cheville. L’impact ébranla le bras de Castricius. Le Sassanide tomba, aussitôt remplacé par un autre.
Le nouvel adversaire leva son épée au-dessus de sa tête et l’abattit sur le bouclier de Castricius qui le sentit et l’entendit se fendre sous la violence du coup. À sa gauche, un Romain se fendit pour toucher le Perse à l’aisselle. Des étincelles jaillirent et la pointe de la spatha dérapa sur la cotte de maille. Avant que Prosper pût reculer, un autre sabre sassanide étincela et lui trancha la main droite. Castricius regarda, horrifié, le jeune optio chanceler, puis s’agenouiller, sa main gauche tenant le moignon de son bras droit, sa bouche ouverte en un cri silencieux. Il y avait du sang partout. Les deux Sassanides s’avancèrent pour achever l’officier. Castricus se retourna et courut.
Ses bottes martelant le sol, il revint à toute
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