L'Orient à feu et à sang
n’entendait pas de poursuivants, mais se remit à courir : il eût été dommage d’être arrivé jusque-là seulement pour se faire tuer, si près du but.
Ils l’entendirent avant de le voir ; la respiration haletante, les pieds qui traînaient. Un homme désarmé, couvert de boue, les mains en sang, apparut dans le cercle de lumière.
— Tiens donc, je ne rêve pas, c’est bien notre Castricius, le rat des tunnels, dit Maximus.
L’été succédait au printemps et les déserteurs des deux camps se glissaient dans les ravins ou traversaient furtivement la plaine. C’était là une caractéristique de la guerre de siège qui ne manquait jamais d’étonner Ballista. Un siège avait beau être voué à l’échec, il y aurait toujours des assiégés pour rejoindre les assaillants. De la même manière, une forteresse pouvait bien être condamnée, sans l’ombre d’une chance de tenir, cela n’empêchait nullement certains assiégeants de tout risquer pour rejoindre les hommes encerclés. Demetrius dit qu’il se souvenait avoir lu dans La Guerre des Juifs de Flavius Josèphe [78] que des déserteurs de l’armée romaine avaient pénétré dans Jérusalem quelques jours seulement avant que la ville ne fût prise et incendiée. Il y avait bien sûr une explication à cela. Les armées étaient composées d’un très grand nombre d’hommes très violents et il y en avait toujours parmi eux pour commettre des crimes punis de la peine capitale. Pour se soustraire à une condamnation à mort ou pour en reculer un peu l’échéance, ils étaient capables des actes les plus étranges. Pourtant, Ballista ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi ces hommes, particulièrement parmi les assiégeants, ne tentaient pas plutôt de s’enfuir et de se cacher, de trouver un endroit lointain où ils pourraient se réinventer.
Un filet de déserteurs sassanides se déversait ainsi dans Arété, jamais plus d’une vingtaine, bien que l’on soupçonnât que d’autres eussent été liquidés par les premiers gardes qu’ils avaient rencontrés. Ils étaient source de nombreux problèmes. Ballista et Maximus consacraient beaucoup de temps à les interroger. Bagoas avait l’interdiction formelle de leur parler. Il s’avérait impossible de distinguer les authentiques demandeurs d’asile des espions et des saboteurs. Finalement, après en avoir fait défiler quelques-uns le long des remparts pour semer le trouble dans l’esprit de l’assiégeant, Ballista ordonna qu’ils fussent enfermés dans un baraquement à côté du campus martius. Un problème supplémentaire dont on se serait bien passé. Dix légionnaires de la centurie de réserve cantonnée là, celle d’Antoninus Posterior, durent être affectés à leur surveillance. Il fallait aussi leur donner à manger et à boire.
Au début, un grand nombre d’hommes s’enfuyaient d’Arété. Mais cette tendance ne perdura pas longtemps. Les Sassanides avaient une façon sommaire de s’en occuper. Ils érigeaient une ligne de pieux effilés dans la plaine : les déserteurs y étaient empalés, la pointe du pieu dans l’anus. L’intention était d’offrir à la vue des assiégés un spectacle horrible et les Sassanides y parvenaient. Certaines des victimes survivaient pendant des heures. Les pieux avaient été plantés juste à portée de l’artillerie, pour narguer les Romains et les pousser à abréger les souffrances de leurs anciens compagnons. Ballista donna l’ordre de ne pas gâcher les munitions. Quelques jours plus tard, les Sassanides descendaient les cadavres et les décapitaient. L’artillerie propulsait alors les têtes par-dessus les murs de la ville. Les corps étaient jetés aux chiens.
Si tant est que les Perses eussent un autre mobile que la simple délectation à infliger les pires souffrances, Ballista présumait qu’ils souhaitaient décourager toute personne de quitter Arété afin que les réserves de nourriture fussent mises à contribution le plus possible. S’ils pensaient provoquer ainsi une pénurie, ils allaient être déçus. La politique de stockage de nourriture mise en place par Ballista, dans les mois qui précédèrent le siège, avait bien fonctionné. La bonne gestion des réserves permettrait à Arété de tenir au moins jusqu’à l’automne.
Cette relative abondance de nourriture fut encore renforcée par l’arrivée d’un bateau chargé de grain. Il venait de Circesium, la plus proche des villes
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