L'Orient à feu et à sang
qu’ils ne le voudraient, dit Mamurra. Leur supériorité numérique est telle qu’ils se passeraient volontiers de quelques bouches à nourrir. Et le risque de peste est toujours plus important avec une armée très nombreuse.
— Alors ces chameaux apportent de la nourriture ? demanda Demetrius.
— Je ne pense pas que nous ayons cette chance, dit Ballista en essuyant la sueur de ses yeux. J’ai bien peur qu’ils n’amènent du bois.
Les soldats qui se trouvaient non loin approuvèrent gravement de la tête mais, voyant que le jeune Grec ne semblait pas plus avancé, Ballista reprit :
— L’une des raisons pour laquelle nous avons joui d’une relative tranquillité, la chose qui a empêché les Perses de ne rien entreprendre contre nous, ces deux derniers mois, est le manque de bois dans les environs. Nous avons brûlé le peu qu’il y avait avant qu’ils n’arrivent. Or presque tous les travaux de siège requièrent du bois : il en faut pour construire des engins, des tours, des béliers, des échelles, des mantelets, des tortues et toutes sortes d’écrans. Et il en faut aussi pour étayer les galeries de sape. Prendre une ville exige de disposer de beaucoup de bois – à moins, bien sûr, d’offrir des sacs d’or aux assiégés en échange de leur départ.
— Si seulement, Dominus , si seulement, dit Castricius.
— Oui, en effet, Draconarius. Dommage que ces bâtards de Sassanides soient si assoiffés de sang qu’ils préféreraient nous empaler plutôt que nous soudoyer.
La dernière des caravanes mit deux jours pleins avant d’arriver à destination. Le camp perse s’étendait maintenant sur toute la plaine jusqu’aux collines. Les chameaux blatéraient, les hommes criaient, les buccins sonnaient. Bien que tout semblât chaotique, une certaine organisation devait présider à toute cette agitation car, en l’espace d’une journée, les charpentiers étaient au travail, les feux des forges de campagne mobiles étaient allumés et une suite de chameaux déchargés se dirigeait vers le nord-ouest.
Les chameaux revinrent le lendemain. On voyait des équipes d’hommes décharger des briques. Cette fois-ci, ce fut au tour de Mamurra, le prœfectus fabrum, d’expliquer à Demetrius les subtilités de la poliorcétique.
— Ils vont construire une rampe de siège pour essayer de passer par-dessus la muraille. Généralement, une rampe, un agger, se construit avec de la terre et des gravats. Mais le sol, par ici, est constitué de sable et ils s’y enfonceraient comme Maximus dans une de ses putains ; il faut donc des murs de soutènement, c’est pourquoi ils ont besoin de briques. Ces bâtards ne sont pas restés là à rien faire comme nous le croyions. Ils ont fabriqué des briques de terre séchée quelque part, probablement dans l’un des villages des collines au nord-ouest. Avec tout ce bois, ils fabriquent des vinæ, des abris mobiles pour les pauvres bougres qui vont devoir construire la rampe, et des engins de jet pour essayer de détruire nos balistes et d’empêcher que nous les tuions tous.
— Thucydide raconte qu’il a fallu soixante-dix jours aux Spartiates pour construire leur rampe de siège à Platées, dit Demetrius, la voix pleine d’espoir.
— Si nous parvenons à les retarder autant, nous pourrons nous estimer heureux, répondit Mamurra.
— N’y a-t-il rien que nous puissions faire pour les arrêter ?
Ballista écrasa une mouche sur son bras.
— Il ne faut pas désespérer.
Il examina l’insecte écrasé avant de lui donner une pichenette.
— J’ai pensé à quelque chose qui pourrait marcher.
Pendant la nuit du 20 juillet, les Sassanides avancèrent leur artillerie, trente balistes, à portée de l’extrémité sud de la muraille du désert. Au lever du soleil, ils les avaient mises en batterie derrière d’épais écrans à quelque deux cents pas des murs. Le duel d’artillerie recommença. Dès midi, de longues lignes de vinæ étaient en place ; dessous, on creusait trois longs tunnels devant lesquels le début de la rampe commençait à apparaître. La longue période d’inactivité était terminée. Le siège d’Arété entrait dans une phase nouvelle et capitale.
— Tu ressembles à un homme offrant un petit pain à un éléphant. Approche donc et donne-la-moi.
Bien que Ballista eût le sourire aux lèvres, le médecin semblait terrifié. C’était un civil. Sa mauvaise tunique suggérait qu’il n’était
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