L'Orient à feu et à sang
beaucoup grandi et changé, mais peut-être pas au point de ne pouvoir le reconnaître.
Ravalant sa déception, Ballista se consacra à la répartition des maigres ressources dont il disposait pour défendre la ville. Les dix nouveaux légionnaires rejoignirent la centurie de Lucius Fabius à la Porta Aquaria, au motif que leur expérience de bateliers pourrait y être plus utile qu’ailleurs. Les pertes avaient été étonnamment légères le jour où le grand bélier avait brûlé et, depuis lors, seuls quelques hommes étaient tombés sous les volées de flèches sporadiques des Perses ou lors d’incursions malheureuses, jusqu’au désastre au cours duquel le jeune optio Prosper avait perdu la vie. Les centuries de la Legio IIII postées sur la muraille ouest, devant le désert, comptaient toujours presque cinquante hommes chacune et les turmes de la Cohors XX, une quarantaine. Ballista en avait renforcé les effectifs par une centaine d’archers conscrits du numerus de Iarhai. Il espérait que servir aux côtés de l’armée régulière instillerait chez les conscrits un surcroît de détermination et de compétence. Mais il avait bien conscience qu’il pourrait en être autrement, que le relâchement de la discipline chez les conscrits pouvait se propager aux soldats réguliers. Jusqu’à maintenant, les choses prenaient la tournure souhaitée, mais il aurait aimé qu’Iarhai apparût plus souvent sur les remparts. Le synodiarque grisonnant semblait se désintéresser de plus en plus des affaires du siège.
Le plein été approchait et la température ne cessait de grimper. Depuis les murs d’Arété, on voyait souvent se former des mirages vibrant dans la chaleur du désert, rendant les distances difficiles à évaluer, masquant les mouvements des Perses. Pour un homme du Nord, la chaleur était presque intolérable. Dès que l’on enfilait ses vêtements, ils devenaient aussitôt trempés de sueur ; les baudriers et les bretelles des armures frottaient, mettant la peau à vif. Mais ce n’était pas le pire. La poussière s’insinuait partout, dans les yeux, les oreilles, la bouche, dans les pores de la peau, on la respirait : tous ceux qui n’étaient pas originaires de la ville étaient affligés d’une toux sèche et persistante. Et puis il y avait les mouches et les moucherons bourdonnant sans cesse, piquant, recouvrant chaque morceau de nourriture, s’agglutinant sur le bord de chaque coupe.
Il n’y avait guère que deux moments dans la journée où la chaleur au dehors se faisait moins infernale : le soir, la température baissait tandis qu’une brise plus fraîche soufflait sur l’Euphrate et que le ciel prenait brièvement une teinte de lapis-lazuli ; juste avant l’aube, lorsque le ciel traversé par les faisans et les perdrix prenait cette délicate teinte rose avant que le soleil s’élevât au-dessus de l’horizon et commençât à châtier les hommes.
À midi, le 6 juillet, premier jour de la fête des Ludi Apollinares, Ballista était étendu dans le frigidarium pour échapper à l’implacable chaleur. Les thermes étant ceux, privés, attenant au palais du Dux Ripæ, il se trouvait seul. Castricius, son nouveau porte-étendard, entra et lui adressa un salut impeccable.
— Un grand nuage de poussière a été aperçu au sud, de notre côté du fleuve ; il se dirige vers nous.
Lorsque Ballista eut pris son poste habituel au-dessus de la porte de la Palmyrène, la haute et dense colonne de poussière isolée avait déjà pris une dimension qui ne laissait guère de doute sur ce qui pouvait en être la cause : un immense cortège d’hommes et d’animaux remontant le fleuve. Vraisemblablement, son avant-garde atteindrait le camp sassanide le lendemain en début d’après-midi.
La colonne perse ne perdit pas de temps : dès midi, sa tête approchait du camp. La ligne ininterrompue de chameaux s’étendait à perte de vue. Ils avançaient d’un pas chaloupé, tous lourdement chargés ; certains tiraient des fardeaux sur le sol. Ballista vit que presque aucune troupe ne les accompagnait. Les Sassanides étaient suprêmement confiants.
— Qu’est-ce que c’est ? Il semble n’y avoir que très peu d’hommes armés. C’est sûrement bon signe.
Plusieurs soldats sourirent en entendant Demetrius.
— Malheureusement non, dit Ballista. Ils disposent déjà de tous les guerriers dont ils pourraient avoir besoin.
— Ils doivent même en avoir plus
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