L'Orient à feu et à sang
somme.
Le jour suivant, Maximus se sentait renaître. Juste après l’aube, le capitaine avait annoncé que, puisqu’il pouvait voir le sommet du mont surmontant l’île de Tenos, la journée était propice au voyage. Ballista avait accompli les rituels appropriés et le Concordia avait largué ses amarres. Maximus se tenait maintenant debout sur les epotides, les oreillettes [25] de proue en grec, juste derrière le rostre du navire, et jouissait d’une vue imprenable sur l’azur de la mer. L’ironie voulait qu’il se trouvât là, lui, un simple esclave, profitant du soleil et des embruns à la meilleure place du navire pendant que derrière lui, sur les ponts inférieurs, cent quatre-vingts hommes libres, en principe soldats de Rome, étaient assis sur de mauvais bancs dans une pénombre où l’air ne circulait pas et souquaient dur pour faire avancer le vaisseau. « Laissons ces pauvres bougres se foutre des échardes dans le cul », pensa-t-il.
Sa condition d’esclave ne pesait pas trop à Maximus. D’autres s’en affligeaient – à commencer par le jeune Demetrius, qui avait semblé abattu depuis que l’on avait annoncé que le navire ferait étape à Délos. Cela avait peut-être à voir avec les circonstances qui avaient fait d’eux des esclaves. Certains étaient nés esclaves. D’autres étaient abandonnés, encore tout bébés, sur des tas de fumier et emportés par des marchands d’esclaves. Certains étaient si pauvres qu’ils se vendaient eux-mêmes. D’autres étaient réduits en esclavage pour expier leurs crimes ; d’autres encore étaient capturés par des pirates ou des bandits. Hors de l’empire, nombreux étaient ceux qui avaient été asservis par les puissantes armées de Rome – mais ils étaient plus rares, maintenant que les armées romaines avaient pris l’habitude de la défaite. Et puis il y avait tous ceux qui, comme Maximus, avaient hérité de la condition.
À l’époque où il était homme libre, il répondait au nom de Muirtagh. Dans le dernier souvenir qu’il eût de sa liberté, il riait en compagnie d’autres guerriers. Ils avaient attaché un paysan à un arbre, au cas où il aurait caché un pot d’or quelque part, et se passaient de main en main une outre de bière. Dans le premier souvenir de son esclavage, il était allongé au fond d’une charrette, les mains liées, serrées derrière le dos. À chaque cahot secouant la mauvaise carriole, la douleur à sa tête empirait. Entre les deux épisodes, rien, le trou noir. C’était comme si quelqu’un avait pris son rouleau de papyrus du Satyricon et en avait arraché plusieurs feuilles avant de les recoller dans le désordre, ou mieux, comme si l’on avait déchiré des pages d’un de ces nouveaux livres reliés. L’histoire passait du coq-à-l’âne.
Un autre guerrier dont on avait épargné la vie pour le vendre comme esclave se trouvait avec lui dans la charrette. Il se nommait Cormac. Apparemment, ils étaient allés voler du bétail dans une tribu voisine et quelques-uns de ses guerriers les avaient rattrapés. Dans la bataille qui s’ensuivit, Muirtagh avait reçu en pleine tête une pierre lancée par une fronde et s’était effondré. On les avait ensuite emmenés vers la côte pour les vendre aux marchands d’esclaves romains.
Cormac n’avait pas été vendu. Une blessure superficielle à sa jambe s’était infectée et il en était mort. On avait vendu Muirtagh. Son premier propriétaire avait pensé que Maximus serait un nom adéquat pour un gladiateur potentiel et on ne l’appela donc plus Muirtagh. Maximus fut envoyé en Gaule et vendu à un laniste, un instructeur de gladiateurs itinérants. Il avait tout d’abord combattu avec le cœstus des pugilistes, le redoutable ceste hérissé de pointes. Mais il y eut un incident : Maximus se fâcha avec un rétiaire, un gladiateur armé d’un filet et d’un trident, pour une histoire d’argent. Pour compenser les pertes liées au rétiaire désormais estropié, on avait vendu Maximus à une autre troupe de gladiateurs où il avait combattu avec le bouclier oblong et la courte épée des mirmillons.
Lorsque Ballista le vit pour la première fois, Maximus combattait dans le grand amphithéâtre de pierre d’Arelate [26] . L’Angle avait payé bien plus que le prix en vigueur, mais il avait de bonnes raisons. À cette époque, il faisait route vers le grand Ouest et avait besoin de deux choses : quelqu’un qui
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