L'Orient à feu et à sang
raidit. Il craignait le pire et semblait prêt à s’enfuir ou même à se battre.
— Je veux que tu m’apprennes le perse. Je veux apprendre à la fois la langue et les coutumes des Perses.
— La plupart des membres de la haute société perse parlent un peu le grec, Kyrios, dit le garçon, soulagé.
Ballista l’ignora.
— Si tu remplis bien ton office, tu seras bien traité. Si tu essaies de t’enfuir, je te tuerai.
Le jeune homme parut inquiet.
— Comment les Perses de la maison sassanide ont-ils renversé les Parthes ? Pourquoi lancent-ils si souvent leurs cavaliers sur l’ imperium romanum ? Comment se fait-il qu’ils aient si souvent vaincu les Romains ?
La réponse fusa aussitôt.
— C’était la volonté du dieu Mazda.
Si le premier stratagème visant à abattre les murs échoue, il faut en essayer un autre. Ballista continua :
— Raconte-moi l’histoire de la lignée des Sassanides. Je veux connaître les ancêtres du roi Shapur et le récit de leurs hauts faits.
— Il existe tant d’histoires sur les origines de la dynastie sassanide !
— Conte-moi celles auxquelles tu crois.
Il se méfiait, mais Ballista espérait que l’orgueil l’amènerait à parler. Le garçon réfléchit, rassemblant ses pensées.
— Il y a bien longtemps, à l’époque où le seigneur Sassan parcourait les terres, il arriva au palais du roi Papak. Papak était devin et il pouvait voir que les descendants de Sassan étaient destinés par Mazda à mener les Perses à la gloire. Il n’avait pas de fille ou de parentes à offrir à Sassan, et il lui fit donc présent de son épouse. La gloire impérissable des Perses sassanides lui importait plus que sa propre honte. Le fils que Sassan eut de cette union était Ardashir, le Roi des Rois, qui, il y a trente ans, renversa les Parthes. Le fils d’Ardashir est Shapur, le Roi des Rois, roi des Aryens et des non-Aryens, celui qui, par la volonté de Mazda, châtie les Romains.
Le jeune homme défiait Ballista du regard.
— Et Shapur veut reconquérir toutes les terres jadis gouvernées par les Perses, avant qu’Alexandre le Grand ne conquière leur empire ? Donc il prendrait aux Romains l’Égypte, la Syrie, l’Asie Mineure et la Grèce ?
— Oui… ou plutôt non.
— Oui ou non ?
— Oui dans le sens où ce sont des terres ancestrales qui doivent être reconquises, et non dans le sens où ce n’est pas là tout ce qu’il prendra aux Romains.
Les yeux du jeune homme brillaient de ferveur.
— Alors quelles autres terres ferait-il siennes ?
Ballista s’attendait au pire.
— Shapur, le Roi des Rois, dans sa parfaite humilité, accepte de n’être que l’instrument du dieu Mazda. Il comprend que le destin de sa lignée est d’apporter les feux sacrés de Mazda au monde entier, de faire que tous les peuples adorent Mazda, de rendre Aryen le monde entier !
Ainsi, voilà ce qu’il en était. Le bonheur éphémère de Ballista venait de s’évaporer. Les Perses n’avaient que faire de subtilités temporelles telles qu’une juste cause. Il n’y avait aucun espoir de compromis ou de trêve. Et, apparemment, aucun espoir de fin non plus. L’espace d’un instant, Ballista vit le monde avec les yeux du jeune Perse : les armées des justes, aux soldats aussi nombreux que les étoiles dans le ciel, déferlant à l’ouest pour purifier le monde. Et il n’y avait guère que Ballista et la ville reculée d’Arété pour se dresser en travers de leur chemin.
III
Les effets de la boisson avaient mis du temps à disparaître. Aussitôt après que Ballista lui eut donné son congé, Maximus avait acheté au marché principal du pain, du fromage, des olives, de l’eau et un petit rayon de miel avant de se mettre en quête d’un endroit calme où s’asseoir. Il avait trouvé un jardin désert et choisi une place d’où il pouvait voir chacune des deux entrées. Après s’être assuré qu’il n’y avait pas de serpents dans les fourrés, car il en avait une sainte horreur, il s’installa pour lire l’unique livre qu’il possédât, Le Satyricon de Pétrone. Maximus s’était essayé à lire d’autres livres depuis que Ballista lui avait appris à lire le latin en Afrique, quelques années auparavant, mais aucun ne lui « parlait » comme celui-là. Il montrait les Romains tels qu’ils étaient vraiment : débauchés, ivrognes, avides, fourbes et violents – des hommes qui lui ressemblaient beaucoup, en
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