L'Orient à feu et à sang
fourreau.
— Et merde, c’est reparti. Au moins, cette fois-ci je n’y suis pour rien.
Il fut interrompu par une grande vibration suivie d’un glissement et ponctuée par un choc sourd tandis que le premier scorpion procédait à son tir d’essai. Le trait s’envola loin vers la gauche. Il fut suivi par trois autres, deux à droite, un à gauche. L’équipe de servants du scorpion de tribord arrière s’activait fiévreusement, ajustant la tension des ressorts, les cordes torsadées et bridées qui conféraient à l’engin un couple de torsion considérable.
D’autres ordres jaillirent.
— Avirons de rechange à tous les niveaux. Répandez du sable sur le pont. Silence complet. Attendez les ordres. Seuls les officiers doivent parler.
Telles les ailes d’un grand oiseau, les trois rangées d’avirons amenèrent le Concordia vers sa proie. L’écart n’était plus maintenant que d’un demi-mille.
— Pourquoi restent-ils là ? Pourquoi ne s’enfuient-ils pas, ces bâtards ? murmura Maximus.
— Peut-être pensent-ils que s’ils parviennent à éviter notre rostre, leurs cent hommes lancés à l’abordage pourront avoir le dessus sur nos soixante-dix fantassins de marine, malgré la hauteur supérieure du Concordia.
— Alors ils sont fous et méritent tout ce qui va leur arriver.
— Engins de l’avant, ouvrez le feu à 450 pieds !
L’eau chuintait contre la coque et l’écart s’amenuisait rapidement. Le scorpion de tribord émit une autre série de sons, vibration, glissement, choc sourd, et le trait fut propulsé à une vitesse prodigieuse. L’espace d’un instant, on crut qu’il allait percuter de plein fouet le navire ennemi, mais il passa juste au-dessus de la tête des guerriers goths. Déjà, l’équipe de servants remontait le bras du scorpion pour décocher le prochain projectile. Le premier n’était pas passé loin et eut l’effet d’un coup de pied dans une fourmilière. Le cri de guerre germain, le barritus, retentit, un rugissement qui allait s’amplifiant. Un des Barbares agitait frénétiquement un bouclier rouge au-dessus de sa tête.
— Merde, oh merde ! hurla quelqu’un à la proue.
Deux autres navires goths émergeaient de derrière les monticules rocheux des îlots Diabetai.
— On sait maintenant pourquoi ils ne se sont pas enfuis, chuchota Maximus.
— Parés à virer à gauche toute !
Guère plus de trois cents pieds séparaient le Concordia des deux premiers vaisseaux goths.
— À mon signal, souquez ferme côté bâbord ; pales dans l’eau côté tribord ; timonier, à gauche toute !
On n’entendait plus que l’étrave fendant les eaux.
— Maintenant !
Le Concordia gîta fortement à gauche. Les orifices des avirons du niveau inférieur se trouvaient maintenant à fleur d’eau, ou même sous l’eau. Les milliers de tenons et de mortaises de bois grincèrent horriblement, comme pour protester. Le mât principal glissa malgré les cordages qui l’arrimaient. Mais le navire tourna comme une anguille. Il filait, présentant son flanc à la proue des navires goths qui n’étaient plus qu’à une soixantaine de pieds. Puis il redressa le cap et s’éloigna rapidement. La trirème venait de tourner à cent quatre-vingt degrés dans un mouchoir de poche, soit à peine trois fois sa longueur.
Il y eut un sifflement et quelque chose heurta le pont à quelques pieds de Ballista.
— Des flèches ! Levez les boucliers !
Maudissant son imprudence, Ballista s’accroupit derrière les lourdes planches de tilleul de son bouclier. On entendit les chocs sourds et les tintements des flèches heurtant le bois ou le métal. Quelque part, un homme hurla : une flèche avait fait mouche. Puis, par deux fois en un laps de temps très court, les bruits caractéristiques des scorpions retentirent tandis que les servants ripostaient aux archers goths. Ballista jeta un coup d’œil rapide par-dessus son bouclier avant de s’accroupir à nouveau. Une autre volée de flèches arrivait. Cette fois-ci, plusieurs hommes hurlèrent. Le capitaine se tenait debout à côté de Ballista. Le calme de l’homme lui faisait honte.
— Nous pouvons les distancer sans problème. Mais nous pourrions bien…
La pointe de la flèche émergea de sa gorge tel un appendice saugrenu. Il y avait étonnamment peu de sang. Le capitaine sembla la regarder avec horreur, puis tomba en avant. La tige de la flèche qui transperçait son cou se brisa dans
Weitere Kostenlose Bücher